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pouvoir nier les différences constantes et les caractères qui les distinguent l’un de l’autre, et qui me paraissent assez sensibles et assez multipliés pour constituer deux espèces distinctes et séparées.

Comme le chat-huant se trouve en Suède et dans les autres terres du Nord[1], il a pu passer d’un continent à l’autre : aussi le retrouve-t-on en Amérique jusque dans les pays chauds. Il y a au cabinet de M. Mauduyt un chat-huant qui lui a été envoyé de Saint-Domingue, qui ne nous paraît être qu’une variété de l’espèce d’Europe, dont il ne diffère que par l’uniformité des couleurs sur la poitrine et sur le ventre, qui sont rousses et presque sans taches, et encore par les couleurs plus foncées des parties supérieures du corps.


L’EFFRAIE OU LA FRESAIE

L’effraie[NdÉ 1], qu’on appelle communément la chouette des clochers, effraie en effet par ses soufflements, che, chei, cheu, chiou, ses cris âcres et lugubres, grei, gre, crei, et sa voix entrecoupée, qu’elle fait souvent retentir dans le silence de la nuit ; elle est pour ainsi dire domestique, et habite au milieu des villes les mieux peuplées ; les tours, les clochers, les toits des églises et des autres bâtiments élevés lui servent de retraite pendant le jour, et elle en sort à l’heure du crépuscule ; son soufflement, qu’elle réitère sans cesse, ressemble à celui d’un homme qui dort la bouche ouverte ; elle pousse aussi, en volant et en se reposant, différents sons aigres tous si désagréables, que cela, joint à l’idée du voisinage des cimetières et des églises, et encore à l’obscurité de la nuit, inspire de l’horreur et de la crainte aux enfants, aux femmes, et même aux hommes soumis aux mêmes préjugés, et qui croient aux revenants, aux sorciers, aux augures ; ils regardent l’effraie comme l’oiseau funèbre, comme le messager de la mort ; ils croient que, quand il se fixe sur une maison et qu’il y fait retentir une voix différente de ses cris ordinaires, c’est pour appeler quelqu’un au cimetière[NdÉ 2].

On la distingue aisément des autres chouettes par la beauté de son plu-

  1. « Strix capite lævi, corpore ferrugineo, remige tertiâ longiore. » Linn., Faun. Suec., no 55.
  1. C’est le Strix flammea L. [Note de Wikisource : actuellement Tyto alba Scopoli, vulgairement chouette effraie]. Les Strix sont des Rapaces nocturnes de la famille des Strigidés, à corps allongé, à cou long, à tête grande et large, à queue de moyenne taille, à bec droit à la base, recourbé seulement près de l’extrémité, à doigts couverts de plumes, à ongles longs, minces et aigus, à oreilles vastes et pourvues d’une valvule, à disque périophthalmiques complets.
  2. En Espagne, on croit que l’effraie entre dans les églises pour y boire l’huile des lampes qui brûlent auprès de l’autel. Dans certains pays on admet qu’en faisant avaler à une personne un œuf d’effraie délayé dans de l’eau-de-vie, on donne à cette personne une aversion désormais invincible pour le vin.