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dans nos provinces, et on les voit partir après les hirondelles et arriver à peu près en même temps ; quoiqu’ils habitent de préférence les terrains élevés, ils se rassemblent volontiers dans ceux où les mulots se sont le plus multipliés et y font un grand bien pour la destruction de ces animaux, qui se multiplient toujours trop, et qui, dans de certaines années, pullulent à un tel point qu’ils dévorent toutes les graines et toutes les racines des plantes les plus nécessaires à la nourriture et à l’usage de l’homme. On a souvent vu, dans les temps de cette espèce de fléau, les petits ducs arriver en troupe et faire si bonne guerre aux mulots qu’en peu de jours ils en purgent la terre[1]. Les hiboux, ou moyens ducs, se réunissent aussi quelquefois en troupe de plus de cent ; nous en avons été informés deux fois par des témoins oculaires, mais ces assemblées sont rares, au lieu que celles des scops ou petits ducs se font tous les ans ; d’ailleurs c’est pour voyager qu’ils semblent se rassembler, et il n’en reste point au pays, au lieu qu’on y trouve des hiboux ou moyens ducs en tout temps ; il est même à présumer que les petits ducs font des voyages de long cours et qu’il passent d’un continent à l’autre. L’oiseau de la Nouvelle-Espagne, indiqué par Nieremberg sous le nom de talchicuatli, est ou de la même espèce, ou d’une espèce très voisine de celle du scops ou du petit duc[2] ; au reste, quoiqu’il voyage par troupes nombreuses, il est assez rare partout et difficile à prendre ; on n’a jamais pu m’en procurer ni les œufs, ni les petits, et on a même de la peine à l’indiquer aux chasseurs, qui le confondent toujours avec la chevêche, parce que ces deux oiseaux sont à peu près de la même grosseur et que les petites plumes éminentes qui distinguent le petit duc sont très courtes et trop peu apparentes pour faire un caractère qu’on puisse reconnaître de loin.

Au reste, la couleur de ces oiseaux varie beaucoup suivant l’âge et le climat, et peut-être le sexe ; ils sont tous gris dans le premier âge ; il y en a de plus bruns les uns que les autres quand ils sont adultes ; la couleur des yeux paraît suivre celle du plumage, les gris n’ont les yeux que d’un jaune très pâle, les autres les ont plus jaunes ou d’une couleur de noisette plus brune ; mais ces légères différences ne suffisent pas pour en faire des espèces distinctes et séparées.


  1. 1o Samuel Dale en cite deux exemples d’après Childrey, et il les rapporte dans les termes suivants : « In the year 1580 at hallontide an army of mices so overrun the marshes near South-Minster that the eat up the grass to the very roots… But at lenght a great number of strange painted owls came and devoured all the mice. The like happened again in Essex anno 1648. » Childrey, Britannia botanica, p. 100. — Dale’s Appendix to the history of Harwich. London, 1732, p. 397. — 2o Quoique Dale rapporte ces faits à l’otus ou moyen duc, je crois qu’il faut les attribuer au scops ou petit duc, à cause de l’indication strange painted owls, qui suffit pour faire reconnaître ici le scops ou petit duc.
  2. « Exoticum oti henus talchicuatli videtur : cornuta avis est sive auriculata, parva corpore, resima, rostro brevi, nigra lumine, luteâ erubescens iride, fusca et cinerea plumis usque ad crura, atra et incurva unguibus. Caetera similis nostrati oto. » Euseb. Nieremberg, Hist. nat., lib. x, cap. xxxix, p. 221.