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l’on pourra donner l’histoire des oiseaux aussi complètement que nous avons donné celle des animaux quadrupèdes[NdÉ 1]. Pour le prouver, prenons un seul oiseau, par exemple l’hirondelle, celle que tout le monde connaît, qui paraît au printemps, disparaît en automne, et fait son nid, avec de la terre, contre les fenêtres ou dans les cheminées ; nous pourrons, en les observant, rendre un compte fidèle et assez exact de leurs mœurs, de leurs habitudes naturelles et de tout ce qu’elles font pendant les cinq ou six mois de leur séjour dans notre pays ; mais on ignore tout ce qui leur arrive pendant leur absence, on ne sait ni où elles vont ni d’où elles viennent ; il y a des témoignages pour et contre au sujet de leurs migrations ; les uns assurent qu’elles voyagent et se transportent dans les pays chauds pour y passer le temps de notre hiver ; les autres prétendent qu’elles se jettent dans les marais[NdÉ 2], et qu’elles y demeurent engourdies jusqu’au retour du printemps ; et ces faits, quoique directement opposés, paraissent néanmoins également appuyés par des observations réitérées : comment tirer la vérité du sein de ces contradictions ? comment la trouver au milieu de ces incertitudes ? J’ai fait ce que j’ai pu pour la démêler ; et l’on jugera, par les soins qu’il faudrait se donner et les recherches qu’il faudrait faire pour éclaircir ce seul fait, combien il serait difficile d’acquérir tous ceux dont on aurait besoin pour faire l’histoire complète d’un seul oiseau de passage, et à plus forte raison l’histoire générale des voyages de tous.

Comme j’ai trouvé que dans les quadrupèdes il y a des espèces dont le sang se refroidit et prend à peu près le degré de la température de l’air, et que c’est ce refroidissement de leur sang qui cause l’état de torpeur et d’engourdissement où ils tombent et demeurent pendant l’hiver, je n’ai pas eu de peine à me persuader qu’il devait aussi se trouver parmi les oiseaux quelques espèces sujettes à ce même état d’engourdissement causé par le froid ; il me paraissait seulement que cela devait être plus rare parmi les oiseaux, parce qu’en général le degré de la chaleur de leur corps est un peu plus grand que celui du corps de l’homme et des animaux quadrupèdes ;

  1. Il est incontestable que les oiseaux peuvent, grâce à leurs organes particuliers de locomotion, se déplacer plus facilement que les quadrupèdes ; mais Buffon commet une erreur en admettant que l’oiseau est indépendant « du climat sous lequel il est né ». Les oiseaux, comme tous les autres animaux, sont soumis à une distribution géographique très nettement déterminée pour chaque espèce. Quant aux oiseaux migrateurs, ils n’émigrent pas, comme le dit Buffon, dans le seul but de se soustraire au froid, mais parce que pendant l’hiver ils manqueraient de nourriture. La cigogne ne pourrait pas passer l’hiver dans les régions froides, parce que pendant cette saison les lézards, les grenouilles, les orvets, etc., dont ces oiseaux font leur nourriture sont cachés.
  2. On sait aujourd’hui que toutes les espèces d’Hirondelles qui fréquentent notre pays émigrent ; cela est incontestable surtout pour l’hirondelle de cheminée et l’hirondelle des fenêtres. Quant à l’hirondelle de rivage, Cuvier croyait qu’elle passait l’hiver « au fond de l’eau des marais. » Il est démontré qu’elle émigre comme les autres, mais qu’elle peut accidentellement s’engourdir pendant l’hiver. (Voyez l’article Hirondelle.)