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Ainsi, pour connaître exactement tous les oiseaux, un seul individu de chaque espèce ne suffit pas, il en faut deux, un mâle et une femelle ; il en faudrait même trois ou quatre, car les jeunes oiseaux sont encore très différents des adultes et des vieux. Qu’on se représente donc que, s’il existe deux mille espèces d’oiseaux, il faudrait en rassembler huit mille individus pour les bien connaître, et l’on jugera facilement de l’impossibilité de faire une telle collection, qui augmenterait encore de plus du double si l’on voulait la rendre complète en y ajoutant les variétés de chaque espèce, dont quelques-unes, comme celle du coq ou du pigeon, se sont si fort multipliées qu’il est même difficile d’en faire l’entière énumération.

Le grand nombre des espèces, le nombre encore plus grand des variétés, les différences de forme, de grandeur, de couleur entre les mâles et les femelles, entre les jeunes, les adultes et les vieux ; les diversités qui résultent de l’influence du climat et de la nourriture, celles que produit la domesticité, la captivité, le transport, les migrations naturelles et forcées ; toutes les causes, en un mot, de changement, d’altération, de dégénération, en se réunissant ici et se multipliant, multiplient les obstacles et les difficultés de l’ornithologie, à ne la considérer même que du côté de la nomenclature, c’est-à-dire de la simple connaissance des objets ; et combien ces difficultés n’augmentent-elles pas encore dès qu’il s’agit d’en donner la description et l’histoire ? Ces deux parties, bien plus essentielles que la nomenclature, et que l’on ne doit jamais séparer en histoire naturelle, se trouvent ici très difficiles à réunir, et chacune a de plus des difficultés particulières que nous n’avons que trop senties par le désir que nous avions de les surmonter. L’une des principales est de donner par le discours une idée des couleurs, car malheureusement les différences les plus apparentes entre les oiseaux portent sur les couleurs encore plus que sur les formes : dans les animaux quadrupèdes, un bon dessin rendu par une gravure noire suffit pour la connaissance distincte de chacun, parce que les couleurs des quadrupèdes n’étant qu’en petit nombre et assez uniformes, on peut aisément les dénommer et les indiquer par le discours ; mais cela serait impossible, ou du moins supposerait une immensité de paroles, et de paroles très ennuyeuses, pour la description des couleurs dans les oiseaux ; il n’y a pas même de termes en aucune langue pour en exprimer les nuances, les teintes, les reflets et les mélanges ; et néanmoins les couleurs sont ici des caractères essentiels, et souvent les seuls par lesquels on puisse reconnaître un oiseau et le distinguer de tous les autres. J’ai donc pris le parti de faire non seulement graver, mais peindre les oiseaux à mesure que j’ai pu me les procurer vivants ; et ces portraits d’oiseaux, représentés avec leurs couleurs, les font connaître mieux d’un seul coup d’œil que ne pourrait le faire une longue description aussi fastidieuse que difficile, et toujours très imparfaite et très obscure.