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manquent, manquent également partout ailleurs ; mais ce qui nous prouve que nous sommes encore bien loin d’être complets, quoique nous ayons rassemblé plus de sept ou huit cents espèces, c’est que souvent il nous arrive de nouveaux oiseaux qui ne sont décrits nulle part, et que d’un autre côté il y en a plusieurs qui ont été indiqués par nos ornithologistes modernes qui nous manquent encore, et que nous n’avons pu nous procurer. Il existe peut-être quinze cents, peut-être deux mille[NdÉ 1] espèces d’oiseaux ; pouvons-nous espérer de les rassembler toutes ? et cela n’est encore que l’une des moindres difficultés que l’on pourra lever avec le temps ; il y a plusieurs autres obstacles dont nous avons surmonté quelques-uns, et dont les autres nous paraissent invincibles. Il faut qu’on me permette d’entrer ici dans le détail de toutes ces difficultés ; cette exposition est d’autant plus nécessaire, que sans elle on ne concevrait pas les raisons du plan et de la forme de mon ouvrage.

Les espèces dans les oiseaux sont non seulement en beaucoup plus grand nombre que dans les animaux quadrupèdes, mais elles sont aussi sujettes à beaucoup plus de variétés : c’est une suite nécessaire de la loi des combinaisons, où le nombre des résultats augmente en bien plus grande raison que celui des éléments ; c’est aussi une règle que la nature semble s’être prescrite à mesure qu’elle se multiplie, car les grands animaux, qui ne produisent que rarement et en petit nombre, n’ont que peu d’espèces voisines, et point de variétés, tandis que les petits tiennent à un grand nombre d’autres familles, et sont sujets, dans chaque espèce, à varier beaucoup ; et les oiseaux paraissent varier encore beaucoup plus que les petits animaux quadrupèdes, parce qu’en général les oiseaux sont plus nombreux, plus petits, et qu’ils produisent en plus grand nombre. Indépendamment de cette cause générale, il y en a de particulières pour les variétés dans plusieurs espèces d’oiseaux. Le mâle et la femelle n’ont, dans les quadrupèdes, que des différences assez légères ; elles sont bien plus grandes et bien plus apparentes dans les oiseaux : souvent la femelle est si différente du mâle par la grandeur et les couleurs, qu’on les croirait chacun d’une espèce diverse ; plusieurs de nos naturalistes, même des plus habiles, s’y sont mépris, et ont donné le mâle et la femelle d’une même espèce comme deux espèces distinctes et séparées ; aussi le premier trait de la description d’un oiseau doit être l’indication de la ressemblance ou de la différence du mâle et de la femelle[NdÉ 2].

  1. Depuis l’époque de Buffon le nombre des espèces d’Oiseaux connues a beaucoup augmenté ; on en admet aujourd’hui plus de six mille.
  2. Buffon indique fort bien dans ce passage deux des causes les plus importantes de la multiplicité des espèces des oiseaux. Les différences qui existent entre les mâles et les femelles, et le nombre considérable des œufs de chaque ponte, rendent très facile la production de variations individuelles qui n’ont plus qu’à être fixées par la sélection pour qu’il se produise des variétés et des espèces nouvelles.