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mettent en troupes pendant l’hiver[NdÉ 1]. Il faut que l’espèce de l’épervier soit encore plus nombreuse qu’elle ne le paraît ; car, indépendamment de ceux qui restent toute l’année dans notre climat, il paraît que dans certaines saisons il en passe en grande quantité dans d’autres pays[1], et qu’en général l’espèce se trouve répandue dans l’ancien continent[2], depuis la Suède[3] jusqu’au cap de Bonne-Espérance[4].


  1. Je crois devoir rapporter ici en entier un assez long récit de Belon, qui prouve le passage de ces oiseaux et indique en même temps la manière dont on les prend. « Nous étions, dit-il, à la bouche du Pont-Euxin, où commence le détroit du Propontide ; nous étions montés sur la plus haute montagne, nous trouvâmes un oiseleur qui prenait des éperviers de belle manière ; et comme c’était vers la fin d’avril, lorsque tous oiseaux sont empêchés à faire leurs nids, il nous semblait étrange voir tant de milans et d’éperviers venir de la part de devers le côté dextre de la mer Majeure : l’oiseleur les prenait avec grande industrie et n’en faillait pas un ; il en prenait plus d’une douzaine à chaque heure ; il était caché derrière un buisson, au-devant duquel il avait fait une aire unie et carrée qui avait deux pas en diamètre, distante environ de deux ou trois pas du buisson ; il y avait six bâtons fichés autour de l’aire, qui étaient de la grosseur d’un pouce et de la hauteur d’un homme, trois de chaque côté, à la summité desquels il y avait en chacun une coche entaillée du côté de la place, tenant un rets de fil vert fort délié, qui était attaché aux coches des bâtons, tendus à la hauteur d’un homme, et au milieu de la place il y avait un piquet de la hauteur d’une coudée, au faîte duquel il y avait une cordelette attachée qui répondait à l’homme caché derrière le buisson ; il y avait aussi plusieurs oiseaux attachés à la cordelette qui paissaient le grain dedans l’aire, lesquels l’oiseleur faisait voler lorsqu’il avait advisé l’épervier de loin venant du côté de la mer ; et l’épervier ayant si bonne vue, dès qu’il les voyait d’une demi-lieue, lors prenait son vol à ailes déployées, et venait si roidement donner dans le filet, pensant prendre les petits oiseaux, qu’il demeurait encré léans enseveli dedans les rets ; alors l’oiseleur le prenait et lui fichait les ailes jusqu’au pli dedans un linge qui était là tout prêt expressément cousu, duquel il lui liait le bas des ailes avec les cuisses et la queue, et l’ayant cillé, laissait l’épervier contre terre qui ne pouvait ne se remuer ne se débattre. Nul ne saurait penser de quelle part venaient tant d’éperviers, car étant arrêté deux heures, il en print plus de trente ; tellement qu’en un jour un homme seul en prenait bien près d’une centaine. Les milans et les éperviers venaient à la file qu’on advisait d’aussi loin que la vue se pouvait étendre. » Belon, Hist. nat. des Oiseaux, p. 121.
  2. Les éperviers sont communs au Japon, de même que partout ailleurs dans les Indes orientales. Kæmpfer, Hist. du Japon, t. Ier, p. 113.
  3. Linnæus, Fauna Suecica, no 68.
  4. Kolbe, Descript. du cap de Bonne-Espérance, t. III, p. 167 et 168.
  1. L’épervier est le plus redoutable ennemi des petits oiseaux. Il se livre à la chasse avec une hardiesse et une habileté remarquables ; mais les oiseaux dont il se nourrit rivalisent de ruse avec lui et parfois échappent ainsi à ses serres. « Je vis un jour, dit Brehm père, un épervier poursuivre un moineau le long d’une haie. Celui-ci, sachant bien qu’au vol il serait perdu, courait constamment au travers de la haie d’un côté à l’autre. L’épervier le suivait de son mieux : à la fin, fatigué de cette chasse infructueuse, il alla se percher sur un prunier voisin où je le tirai. Beaucoup d’oiseaux décrivent, pour l’éviter, des cercles très serrés autour des branches d’arbres. L’épervier ne pouvant les suivre assez vite, ils prennent sur lui une certaine avance, puis disparaissent au plus épais du fourré. D’autres se laissent tomber à terre, y demeurent immobiles et échappent souvent par cette manœuvre. Les plus agiles le poursuivent en poussant des cris et avertissent ainsi leurs compagnons. Les hirondelles de cheminées, notamment, troublent ses chasses, et il paraît en avoir conscience. Lorsqu’elles commencent à le pourchasser, il s’élève dans les airs, décrit quelques cercles, puis s’enfuit vers la forêt, furieux, sans doute, contre ces oiseaux trop agiles. »