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Frézier, dans son voyage de la mer du Sud, parle de cet oiseau dans les termes suivants : « Nous tuâmes un jour un oiseau de proie appelé condor, qui avait neuf pieds de vol et une crête brune qui n’est point déchiquetée comme celle du coq ; il a le devant du gosier rouge, sans plumes, comme le coq d’Inde ; il est ordinairement gros et fort à pouvoir emporter un agneau. Garcilasso dit qu’il s’en est trouvé au Pérou qui avaient seize pieds d’envergure. »

En effet, il paraît que ces deux condors, indiqués par Feuillée et par Frézier, étaient des plus petits et des jeunes de l’espèce ; car tous les autres voyageurs leur donnent plus de grandeur[1]. Le P. d’Abbeville et de Laët assurent que le condor est deux fois plus grand que l’aigle, et qu’il est d’une telle force qu’il ravit et dévore une brebis entière, qu’il n’épargne pas même les cerfs et qu’il renverse aisément un homme[2]. Il s’en est vu, disent Acosta[3] et Garcilasso[4], qui, ayant les ailes étendues, avaient quinze et même seize pieds d’un bout de l’aile à l’autre ; ils ont le bec si fort qu’ils percent la peau d’une vache, et deux de ces oiseaux en peuvent tuer et manger une, et même ils ne s’abstiennent pas des hommes ; heureusement il y en a peu, car, s’ils étaient en grande quantité, ils détruiraient tout le bétail[5]. Desmarchais dit que ces oiseaux ont plus de dix-huit pieds de vol ou d’envergure[NdÉ 1], qu’ils ont les serres grosses, fortes et crochues, et que les Indiens de l’Amérique assurent qu’ils empoignent et emportent une biche ou une jeune vache comme ils feraient un lapin[NdÉ 2], qu’ils sont de la grosseur

  1. « Ad oram (inquit D. Strong) maritimam chilensem non procul a Mochâ insulâ alitem hanc (cuntur) offendimus, clivo maritimo excelso prope littus insidentem. Glande plumbea trajectæ et occisæ spatium et magnitudinem socii navales attoniti, mirabantur : quippe ab extremo ad extremum alarum extensarum commensurata tredecim pedes latitudine æquabat. Hispani regionis istius incolæ interrogati affirmabant se ab illis valde timere ne liberos suos raperent et dilaniarent. » Ray, Synops. Avi., p. 11.
  2. Histoire du nouveau monde, par de Laët, p. 553.
  3. Les oiseaux que les habitants du Pérou appellent condores sont d’une grandeur extrême et d’une telle force, que non seulement ils ouvrent et dépècent un mouton, mais aussi un veau tout entier. Hist. des Indes, par Jos. Acosta, p. 197.
  4. Ceux qui ont mesuré la grandeur des conturs, que les Espagnols appellent condors, ont trouvé seize pieds de la pointe d’une aile à l’autre… Ils ont le bec si fort et si dur qu’ils percent aisément le cuir des bœufs. Deux de ces oiseaux attaquent une vache ou un taureau, et en viennent à bout : ils ont même attaqué de jeunes garçons de dix ou douze ans, dont ils ont fait leur proie. Leur plumage est semblable à celui des pies ; ils ont une crête sur le front, différente de celle des coqs, en ce qu’elle n’est point dentelée ; leur vol, au reste, est effroyable, et quand ils fondent à terre ils étourdissent par leur grand bruit. Histoire des Incas, t. II, page 201.
  5. Histoire du nouveau monde, par de Laët, p. 330.
  1. D’après Humboldt, les plus grands condors qu’on trouve près de Quito, dans les Andes, ont une envergure de 14 pieds.
  2. Il est aujourd’hui démontré que les condors sont impuissants à emporter un animal un peu volumineux. Leurs serres sont faibles comme chez tous les vautours, et ils mangent sur le sol. Ils se nourrissent surtout de jeunes mammifères dont ils s’emparent au moment même où les femelles mettent bas.