Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle-même, au lieu de l’examiner sans prévention et sans préjugés, ne l’ont au contraire considérée que dans le point de vue relatif à leur système de philosophie et aux principes généraux qu’ils avaient établis, lesquels ne pouvaient pas avoir une heureuse application à l’objet présent de la génération, parce qu’elle dépend en effet, comme nous l’avons fait voir, de principes tout différents. Je ne dois pas oublier de dire que Descartes différait encore d’Aristote, en ce qu’il admet le mélange des liqueurs séminales des deux sexes, qu’il croit que le mâle et la femelle fournissent tous deux quelque chose de matériel pour la génération, et que c’est par la fermentation occasionnée par le mélange de ces deux liqueurs séminales que se fait la formation du fœtus.

Il paraît que si Aristote eût voulu oublier son système général de philosophie, pour raisonner sur la génération comme sur un phénomène particulier et indépendant de son système, il aurait été capable de nous donner tout ce qu’on pouvait espérer de meilleur sur cette matière ; car il ne faut que lire son traité pour reconnaître qu’il n’ignorait aucun des faits anatomiques, aucune observation, et qu’il avait des connaissances très approfondies sur toutes les parties accessoires à ce sujet, et d’ailleurs un génie élevé tel qu’il le faut pour rassembler avantageusement les observations et généraliser les faits.

Hippocrate, qui vivait sous Perdiccas, c’est-à-dire environ cinquante ou soixante ans avant Aristote, a établi une opinion qui a été adoptée par Galien, et suivie en tout ou en partie par le plus grand nombre des médecins jusque dans les derniers siècles : son sentiment était que le mâle et la femelle avaient chacun une liqueur prolifique. Hippocrate voulait même de plus que dans chaque sexe il y eût deux liqueurs séminales, l’une plus forte et plus active, l’autre plus faible et moins active. (Voyez Hippocrates, lib. de Genitura, p. 129, et lib. de Diæta, p. 198, Lugd. Bat., t. Ier, 1665.) La plus forte liqueur séminale du mâle, mêlée avec la plus forte liqueur séminale de la femelle, produit un enfant mâle, et la plus faible liqueur séminale du mâle, mêlée avec la plus faible liqueur séminale de la femelle, produit une femelle ; de sorte que le mâle et la femelle contiennent chacun, selon lui, une semence mâle et une semence femelle. Il appuie cette hypothèse sur le fait suivant, savoir : que plusieurs femmes qui d’un premier mari n’ont produit que des filles, d’un second ont produit des garçons, et que ces mêmes hommes, dont les premières femmes n’avaient produit que des filles, ayant pris d’autres femmes, ont engendré des garçons. Il me paraît que, quand même ce fait serait bien constaté, il ne serait pas nécessaire, pour en rendre raison, de donner au mâle et à la femelle deux espèces de liqueur séminale, l’une mâle et l’autre femelle ; car on peut concevoir aisément que les femmes qui de leurs premiers maris n’ont produit que des filles, et avec d’autres hommes ont produit des garçons, étaient seulement