Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE V

EXPOSITION DES SYSTÈMES SUR LA GÉNÉRATION

Platon, dans le Timée, explique non seulement la génération de l’homme, des animaux, des plantes, des éléments, mais même celle du ciel et des dieux, par des simulacres réfléchis et par des images extraites de la Divinité créatrice, lesquelles, par un mouvement harmonique, se sont arrangées selon les propriétés des nombres dans l’ordre le plus parfait. L’univers, selon lui, est un exemplaire de la Divinité ; le temps, l’espace, le mouvement, la matière sont des images de ses attributs ; les causes secondes et particulières sont des dépendances des qualités numériques et harmoniques de ces simulacres. Le monde est l’animal par excellence, l’être animé le plus parfait ; pour avoir la perfection complète, il était nécessaire qu’il contînt tous les autres animaux, c’est-à-dire toutes les représentations possibles et toutes les formes imaginables de la faculté créatrice : nous sommes l’une de ces formes. L’essence de toute génération consiste dans l’unité d’harmonie du nombre trois, ou du triangle : celui qui engendre, celui dans lequel on engendre et celui qui est engendré. La succession des individus dans les espèces n’est qu’une image fugitive de l’éternité immuable de cette harmonie triangulaire, prototype universel de toutes les existences et de toutes les générations ; c’est pour cela qu’il a fallu deux individus pour en produire un troisième, c’est là ce qui constitue l’ordre essentiel du père et de la mère et la relation du fils.

Ce philosophe est un peintre d’idées ; c’est une âme qui, dégagée de la matière, s’élève dans le pays des abstractions, perd de vue les objets sensibles, n’aperçoit, ne contemple et ne rend que l’intellectuel. Une seule cause, un seul but, un seul moyen, font le corps entier de ses perceptions : Dieu comme cause, la perfection comme but, les représentations harmoniques comme moyens. Quelle idée plus sublime ! quel plan de philosophie plus simple ! quelles vues plus nobles ! mais quel vide ! quel désert de spéculations ! Nous ne sommes pas, en effet, de pures intelligences, nous n’avons pas la puissance de donner une existence réelle aux objets dont notre âme est remplie ; liés à la matière, ou plutôt dépendants de ce qui cause nos sen-