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et comme nous sommes arrivés, par la force des faits et par la multitude et l’accord constant et uniforme des observations, au point d’être assurés qu’il existe dans la nature des forces qui n’agissent pas par la voie d’impulsion, pourquoi n’emploierions-nous pas ces forces comme principes mécaniques ? pourquoi les exclurions-nous de l’explication des phénomènes que nous savons qu’elles produisent ? pourquoi veut-on se réduire à n’employer que la force d’impulsion ? N’est-ce pas vouloir juger du tableau par le toucher ? n’est-ce pas vouloir expliquer les phénomènes de la masse par ceux de la surface, la force pénétrante par l’action superficielle ? n’est-ce pas vouloir se servir d’un sens, tandis que c’est un autre qu’il faut employer ? n’est-ce pas enfin borner volontairement sa faculté de raisonner sur autre chose que sur les effets qui dépendent de ce petit nombre de principes mécaniques auxquels on s’est réduit ?

Mais ces forces étant une fois admises, n’est-il pas très naturel d’imaginer que les parties les plus analogues seront celles qui se réuniront et se lieront ensemble intimement ; que chaque partie du corps s’appropriera les molécules les plus convenables, et que du superflu de toutes ces molécules il se formera une matière séminale qui contiendra réellement toutes les molécules nécessaires pour former un petit corps organisé, semblable en tout à celui dont cette matière séminale est l’extrait ? une force toute semblable à celle qui était nécessaire pour les faire pénétrer dans chaque partie et produire le développement, ne suffit-elle pas pour opérer la réunion de ces molécules organiques, et les assembler en effet en forme organisée et semblable à celle du corps dont elles sont extraites ?

Je conçois donc que dans les aliments que nous prenons il y a une grande quantité de molécules organiques, et cela n’a pas besoin d’être prouvé, puisque nous ne vivons que d’animaux ou de végétaux, lesquels sont des êtres organisés : je vois que dans l’estomac et les intestins il se fait une séparation des parties grossières et brutes qui sont rejetées par les voies excrétoires ; le chyle, que je regarde comme l’aliment divisé, et dont la dépuration est commencée, entre dans les veines lactées, et de là est porté dans le sang avec lequel il se mêle ; le sang transporte ce chyle dans toutes les parties du corps ; il continue à se dépurer, par le mouvement de la circulation, de tout ce qui lui restait de molécules non organiques ; cette matière brute et étrangère est chassée par ce mouvement, et sort par les voies des sécrétions et de la transpiration ; mais les molécules organiques restent, parce qu’en effet elles sont analogues au sang, et que dès lors il y a une force d’affinité qui les retient. Ensuite, comme toute la masse du sang passe plusieurs fois dans toute l’habitude du corps, je conçois que dans ce mouvement de circulation continuelle chaque partie du corps attire à soi les molécules les plus analogues, et laisse aller celles qui le sont le moins ; de cette façon toutes les parties se développent et se nourrissent, non pas, comme on le dit ordinairement, par une