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tous les quadrupèdes : puisqu’elle a disparu, combien d’autres plus petites, plus faibles et moins remarquables, ont dû périr aussi sans nous avoir laissé ni témoignages ni renseignements sur leur existence passée ? Combien d’autres espèces s’étant dénaturées, c’est-à-dire perfectionnées ou dégradées par les grandes vicissitudes de la terre et des eaux, par l’abandon ou la culture de la nature, par la longue influence d’un climat devenu contraire ou favorable, ne sont plus les mêmes qu’elles étaient autrefois ? et cependant les animaux quadrupèdes sont, après l’homme, les êtres dont la nature est la plus fixe et la forme la plus constante : celle des oiseaux et des poissons varie davantage, celle des insectes encore plus, et si l’on descend jusqu’aux plantes, que l’on ne doit point exclure de la nature vivante, on sera surpris de la promptitude avec laquelle les espèces varient, et de la facilité qu’elles ont à se dénaturer en prenant de nouvelles formes.

Il ne serait donc pas impossible que, même sans intervertir l’ordre de la nature, tous ces animaux du nouveau monde ne fussent dans le fond les mêmes que ceux de l’ancien, desquels ils auraient autrefois tiré leur origine ; on pourrait dire qu’en ayant été séparés dans la suite par des mers immenses ou par des terres impraticables, ils auront avec le temps reçu toutes les impressions, subi tous les effets d’un climat devenu nouveau lui-même, et qui aurait aussi changé de qualité par les causes mêmes qui ont produit la séparation, que par conséquent ils se seront avec le temps rapetissés, dénaturés, etc. Mais cela ne doit pas nous empêcher de les regarder aujourd’hui comme des animaux d’espèces différentes : de quelque cause que vienne cette différence, qu’elle ait été produite par le temps, le climat et la terre, ou qu’elle soit de même date que la création, elle n’en est pas moins réelle : la nature, je l’avoue, est dans un mouvement de flux continuel ; mais c’est assez pour l’homme de la saisir dans l’instant de son siècle, et de jeter quelques regards en arrière et en avant pour tâcher d’entrevoir ce que jadis elle pouvait être, et ce que dans la suite elle pourrait devenir.

Et à l’égard de l’utilité particulière que nous pouvons tirer de ces recherches sur la comparaison des animaux, on sent bien, qu’indépendamment des corrections de la nomenclature, dont nous avons donné quelques exemples, nos connaissances sur les animaux en seront plus étendues, moins imparfaites et plus sûres ; que nous risquerons moins d’attribuer à un animal d’Amérique ce qui n’appartient qu’à celui des Indes orientales, qui porte le même nom ; qu’en parlant des animaux étrangers sur les notices des voyageurs, nous saurons mieux distinguer les noms et les faits, et les rapporter aux vraies espèces ; qu’enfin l’histoire des animaux que nous sommes chargé d’écrire en sera moins fautive, et peut-être plus lumineuse et plus complète.

FIN DU TOME QUATRIÈME.