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pour les composer. Pourquoi faire du jargon et des phrases lorsqu’on peut parler clair, en ne prononçant qu’un nom simple ? Pourquoi changer toutes les acceptions des termes, sous le prétexte de faire des classes et des genres ? Pourquoi, lorsque l’on fait un genre d’une douzaine d’animaux par exemple, sous le nom de genre du lapin, le lapin même ne s’y trouve-t-il pas, et qu’il faut l’aller chercher dans le genre du lièvre[1] ? N’est-il pas absurde, disons mieux, il n’est que ridicule de faire des classes où l’on rassemble les genres les plus éloignés, par exemple, de mettre ensemble dans la première l’homme[2] et la chauve-souris, dans la seconde l’éléphant et le lézard écailleux, dans la troisième le lion et le furet, dans la quatrième le cochon et la taupe, dans la cinquième le rhinocéros et le rat, etc. Ces idées mal conçues ne peuvent se soutenir : aussi les ouvrages qui les contiennent sont-ils successivement détruits par leurs propres auteurs ; une édition contredit l’autre, et le tout n’a de mérite que pour des écoliers ou des enfants, toujours dupes du mystère, à qui l’air méthodique paraît scientifique, et qui ont enfin d’autant plus de respect pour leur maître, qu’il a plus d’art à leur présenter les choses les plus claires et les plus aisées sous un point de vue le plus obscur et le plus difficile.

En comparant la quatrième édition de l’ouvrage de M. Linnæus avec la dixième, que nous venons de citer, l’homme[3] n’est pas dans la première classe ou dans le premier ordre avec la chauve-souris, mais avec le lézard écailleux ; l’éléphant, le cochon, le rhinocéros, au lieu de se trouver le premier avec le lézard écailleux, le second avec la taupe, et le troisième avec le rat, se trouvent tous trois ensemble[4] avec la musaraigne : au lieu de cinq ordres ou classes principales[5] antropomorpha, feræ, glires, jumenta, pecora, auxquelles il avait réduit tous les quadrupèdes, l’auteur dans cette dernière édition en a fait sept[6], primates, brutæ, feræ, bestiæ, glires, pecora, belluæ. On peut juger, par ces changements essentiels et très généraux, de tous ceux qui se trouvent dans les genres, et combien les espèces, qui sont cependant les seules choses réelles, y sont ballottées, transportées et mal mises ensemble. Il y a maintenant deux espèces d’hommes, l’homme de jour et l’homme de nuit[7], homo diurnus sapiens, homo nocturnus troglodites ; ce sont[8], dit l’auteur, deux espèces très distinctes, et il faut bien

  1. Vide Brisson, Règne animal, p. 140 et 142.
  2. Vide Linnæi, Syst. nat. Holmiæ, 1758, t. Ier, p. 18 et 19.
  3. Vide Linnæi, Syst. nat., édit. IV. Parisiis, 1744, p. 64.
  4. Idem, ibid., p. 69.
  5. Idem, ibid., p. 63 et suiv.
  6. Vide idem, ibid., édit. X. Holmiæ, 1758, p. 16 et 17.
  7. Idem, ibid., p. 20 et 24.
  8. « Speciem trogloditæ ab homine sapiente distinctissimam, nec nostri generis illam nec sanguinis esse, staturâ quamvis simillimam dubium non est, ne itaque varietatem credas quam vel sola membrana nictitans absolute negat. » Linnæi, Syst. nat., édit. X, p. 24.