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sont pas autant multipliées au Brésil[1] que les brebis ; dans les premiers temps, lorsque les Espagnols les transportèrent au Pérou, elles y furent d’abord si rares qu’elles se vendaient jusqu’à cent dix ducats pièce[2] ; mais elles s’y multiplièrent ensuite si prodigieusement qu’elles se donnaient presque pour rien, et que l’on n’estimait que la peau ; elles y produisent trois, quatre et jusqu’à cinq chevreaux d’une seule portée, tandis qu’en Europe elles n’en portent qu’un ou deux. Les grandes et les petites îles de l’Amérique sont aussi peuplées de chèvres que les terres du continent ; les Espagnols en ont porté jusque dans les îles de la mer du Sud ; ils en avaient peuplé l’île de Juan-Fernandès[3], où elles avaient extrêmement multiplié ; mais comme c’était un secours pour les flibustiers, qui dans la suite coururent ces mers, les Espagnols résolurent de détruire les chèvres dans cette île, et pour cela ils y lâchèrent des chiens qui, s’y étant multipliés à leur tour, détruisirent les chèvres dans toutes les parties accessibles de l’île ; et ces chiens y sont devenus si féroces qu’actuellement ils attaquent les hommes.

Le sanglier, le cochon domestique, le cochon de Siam ou cochon de la Chine, qui tous trois ne font qu’une seule et même espèce, et qui se multiplient si facilement et si nombreusement en Europe et en Asie, ne se sont point trouvés en Amérique : le tajacou[4], qui a une ouverture sur le dos, est l’animal de ce continent qui en approche le plus ; nous l’avons eu vivant et nous avons inutilement essayé de le faire produire avec le cochon d’Europe ; d’ailleurs il en diffère par un si grand nombre d’autres caractères que nous sommes bien fondés à prononcer qu’il est d’une espèce différente. Les cochons transportés d’Europe en Amérique y ont encore mieux réussi et multiplié que les brebis et les chèvres. Les premières truies, dit Garcilasso[5], se vendirent au Pérou encore plus cher que les chèvres. La chair du bœuf et du mouton, dit Pison[6], n’est pas si bonne au Brésil qu’en Europe ; les cochons seuls y sont meilleurs et y multiplient beaucoup : ils sont aussi, selon Jean de Læt[7], devenus meilleurs à Saint-Domingue qu’ils ne le sont en Europe. En général, on peut dire que, de tous les animaux domestiques qui ont été transportés d’Europe en Amérique, le cochon est celui qui a le mieux et le plus universellement réussi. En Canada comme au Brésil, c’est-à-dire dans les climats très froids et très chauds de ce nouveau monde, il produit, il

  1. Voyez l’Histoire du nouveau monde, liv. xv, chap. xv.
  2. Voyez l’Histoire des Incas, t. II, p. 322.
  3. Voyez le Voyage autour du monde, par Anson, liv. ii, p. 101.
  4. Tajacu. Pison, Ind., p. 98. — Tajacu aper Mexicanus moschiferus. Ray, Synops. quadrup., p. 97. — Le sanglier du Mexique. Les Français de la Guyane l’appellent cochon noir. Brisson, Règne animal, p. 111.
  5. Voyez l’Histoire des Incas. Paris, 1744, t. II, p. 266 et suiv.
  6. Vide Pison, Hist. nat. Brasil. cum app. Marcgravii.
  7. Voyez l’Histoire du nouveau monde, par Jean de Laet. Leyde, 1640, chap. iv, p. 5.