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sommes pas en état de prononcer sur ce fait[NdÉ 1]. J’ai obligation à M. de la Nux, ancien conseiller au conseil royal de l’île de Bourbon et correspondant de l’Académie des sciences, de m’avoir appris par sa lettre[1], datée de l’île de Bourbon du 9 octobre 1759, que le bison ou bœuf à bosse de l’île de Bourbon produit avec nos bœufs d’Europe ; et j’avoue que je regardais ce bœuf à bosse des Indes plutôt comme un bison que comme un bœuf[NdÉ 2]. Je ne puis trop remercier M. de la Nux de m’avoir fait part de cette observation, et il serait bien à désirer qu’à son exemple les personnes habituées dans les pays lointains fissent de semblables expériences sur les animaux : il me semble qu’il serait facile à nos habitants de la Louisiane d’essayer de mêler le bison d’Amérique avec la vache d’Europe, et le taureau d’Europe avec la bisonne ; peut-être produiraient-ils ensemble, et alors on serait assuré que le bœuf d’Europe, le bœuf bossu de l’île de Bourbon, le taureau des

  1. Extrait de la lettre écrite par M. de la Nux à M. de Buffon. — Je ne dois pas négliger de vous donner à connaître que les bisons, si la loupe ou bosse qu’ils ont sur le garrot est le seul caractère qui les distingue des bœufs, ne sont point une espèce particulière et différente de ceux-ci, comme vous paraissez en être persuadé (au VIIIe vol. in-12 de votre Hist. nat., p. 134). En cette île, où, depuis plus de trente ans, j’ai vu bœufs bretons, bœufs indiens, bisons, il est très assuré que ce sont des animaux de même espèce, mais de races différentes, qui, s’étant mêlées depuis ce temps, ont produit des individus qui en ont eux-mêmes produit d’autres, dont nos savanes sont actuellement couvertes. J’ai eu entre autres une vache bretonne qui a été chez moi la souche de plusieurs générations, et je n’ai jamais eu de taureaux indiens ni bretons, mais seulement des bisons entiers. Les premiers bâtards du mélange des bisons avec les races bretonnes, ont leur loupe ou bosse fort petite : il y en a même qui n’en ont presque pas, seulement le dessus des omoplates est plus charnu que dans les bœufs bretons ou indiens ; encore après plusieurs mélanges de trois races bâtardes, tout disparaît ; et j’ai actuellement plusieurs jeunes bêtes qui n’ont pas la moindre apparence des bosses ou loupes très diminuées que portent les mères qu’elles tettent. Nous nous servons ici des bœufs, de quelques races qu’ils soient, pour porter les grains et autres denrées : l’âpreté de nos montagnes ne permet ni la charrue, ni les charrois. Cet objet rend ici la race des bisons plus recommandable ; et la plupart de nos anciens colons voient avec grand regret la diminution progressive des loupes ou bosses, ils font ce qu’ils peuvent pour conserver les souches les plus bossues ; en effet, dans les descentes assez raides, cette bosse retient la charge ; malgré cela, j’ai l’expérience, et depuis bien des années, que la privation de la bosse ne rend pas nos bœufs moins propres à ce service. Il y a huit mois que je me suis défait d’un bœuf portant ou bœuf de charge, né chez moi très métis, qui avait servi pendant plus de quatre ans, et qui n’avait pas la moindre apparence de bosse ; j’ai encore sa mère qui a bosse et qui, âgée de dix-sept à dix-huit ans, donne encore des veaux bien étoffés. Ces bœufs de charge sont conduits et gouvernés par le nez, qu’on perce entre les narines : on passe dans l’ouverture un fer courbé en croissant, un peu ouvert aux deux extrémités, auxquelles sont attachés deux anneaux ; cette espèce de bridon est supporté par une têtière qui passe derrière les cornes et les oreilles. La corde ou longe de conduite, longue de quinze à seize pieds, est attachée à l’un des anneaux : ordinairement le bœuf devance le conducteur. J’oubliais de vous faire observer que les bisons entiers ont toujours été trouvés ici plus faibles non seulement que les taureaux bretons, mais encore que les bâtards de la race bretonne ; je sens bien qu’on voudrait savoir si cela est égal dans les individus provenus d’un taureau et d’une vache bisonne, et dans ceux provenus d’un bison. Je ne suis pas en état de répondre, etc.
  1. On a observé la fécondation de la vache par le bison.
  2. C’est le zébu.