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SECONDE SUITE DES CHIENS MÉTIS

À ce premier exemple de la production très certaine d’un chien avec une louve, nous pouvons en ajouter d’autres, mais dont les circonstances ne nous sont pas à beaucoup près si bien connues. On a vu en Champagne, dans l’année 1776, entre Vitry-le-François et Châlons, dans une des terres de M. le comte du Hamel, une portée de huit louveteaux, dont six étaient d’un poil roux bien décidé, le septième d’un poil tout à fait noir, avec les pattes blanches, et le huitième de couleur fauve mêlée de gris. Ces louveteaux, remarquables par leur couleur, n’ont pas quitté le bois où ils étaient nés, et ils ont été vus très souvent par les habitants des villages d’Ablancourt et de la Chaussée, voisins de ce bois. On m’a assuré que ces louveteaux provenaient de l’accouplement d’un chien avec une louve, parce que les louveteaux roux ressemblaient, au point de s’y méprendre, à un chien du voisinage ; néanmoins, avec cette présomption, il faut encore supposer que le chien roux, père de ces métis, avait eu pour père et pour mère un individu noir. Les peaux de ces jeunes animaux m’ont été apportées au Jardin du Roi, et, en consultant un pelletier, il les a prises au premier coup d’œil pour des peaux de chien ; mais, en les examinant de plus près, il a reconnu les deux sortes de poils qui distinguent le loup et les autres animaux sauvages des chiens domestiques. C’est à M. de Cernon que je dois la connaissance de ce fait, et c’est lui qui a eu la bonté de nous envoyer les peaux pour les examiner ; il m’a fait l’honneur de m’écrire une lettre datée du 28 octobre 1776, dont voici l’extrait :

« Le jour fut pris au 4 novembre pour donner la chasse à cette troupe de petits loups… On fit battre le bois par des chiens courants accoutumes à donner sur le loup ; on ne les trouva point ce jour-là, quoiqu’ils eussent été vus deux jours auparavant par M. d’Ablancourt, qui, à pied et sans armes, s’était amusé à les considérer assez longtemps à vingt toises de lui autour du bois, et avait été surpris de les voir si peu sauvages. Je demandai, dit M. de Cernon, au pâtre d’Ablancourt qui se trouva là, s’il avait vu ces loups ; il me répondit qu’il les voyait tous les jours, qu’ils étaient privés comme des chiens, que même ils gardaient ses vaches et jouaient au milieu d’elles sans qu’elles en eussent la moindre peur : il ajouta qu’il y en avait un tout noir, que tous les autres étaient roux, à l’exception encore d’un autre qui était d’un gris cendré

» Le 5 novembre, nous trouvâmes ces loups dans une remise de broussailles, située entre Méry et Cernon, et nous nous mîmes à leur poursuite ; et, après les avoir suivis à pied une lieue et demie, nous fûmes obligés, la