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animal. Lorsqu’il était appelé par quelqu’un de ceux avec lesquels il était le plus familier, il ne venait jamais directement à lui, à moins qu’il ne fût exactement sous le vent ; sans cela, il allait d’abord prendre le vent, et ne s’approchait qu’après que le témoignage de son nez avait assuré celui de ses yeux. En tout, il n’avait rien de la gaieté folâtre de nos jeunes chiens, quoiqu’il jouât quelquefois avec eux ; toutes ses démarches étaient posées et annonçaient de la réflexion et de la méfiance. Il avait à peine six mois, qu’on fut obligé de l’enchaîner, parce qu’il commençait à faire une grande destruction de volailles. On avait essayé de le corriger ; mais, outre qu’il n’était ni aisé ni sûr de le saisir, le châtiment ne produisait en lui que de l’hypocrisie. Dès qu’il n’était pas aperçu, son penchant à la rapine agissait dans toute son énergie ; parmi les volailles, il préférait surtout les dindons. Lorsqu’on le tint attaché, sa férocité ne parut pas s’augmenter par la perte de sa liberté. Il ne devint pas non plus propre à la garde ; il aboyait rarement, ses aboiements étaient courts et ne marquaient que l’impatience ; il grondait seulement quand il était approché par des inconnus, et la nuit il hurlait souvent. À l’âge d’un an je l’ai fait mener à la chasse, et comme il paraissait hardi et tenace, j’ai voulu essayer s’il donnerait sur le sanglier ; mais son audace lui a été funeste, il a succombé à la première épreuve ; on l’a lâché avec d’autres chiens sur un sanglier qu’il a attaqué de front, et qui l’a tué tout raide. Voilà l’histoire de cet individu.

» J’ai marié son père, l’un de ceux que vous m’aviez donnés, avec une jeune louve que nous avions à la ménagerie ; comme il était plus fort qu’elle, il a commencé par s’en rendre le maître, et quelquefois il la mordait très cruellement, apparemment pour l’assujettir. La bonne intelligence s’est ensuite rétablie : lorsque la louve a eu environ dix-huit mois, elle est devenue en chaleur, elle a été couverte, et il en est venu trois petits qui tiennent beaucoup moins du chien que les individus de la première production ; entre autres choses, le poil est pareil à celui du louveteau. Une chose assez rare, c’est que cette louve étant pleine, et à un mois près de mettre bas, elle a souffert le mâle ; il l’a couverte en présence d’un des garçons de la ménagerie qui est digne de foi. Il dit qu’ils sont restés attachés un moment ensemble, mais beaucoup moins longtemps que ne restent nos chiens… Je fais élever séparément deux de ces louveteaux, pour voir si l’on pourra en tirer quelque parti pour la chasse ; je les ferai mener de bonne heure en limiers, parce que c’est de cette seule manière qu’on peut espérer d’eux quelque docilité. Je donnerai le troisième pour mari à la louve, afin que l’on voie quel degré d’influence conservera sur la troisième génération la race du grand-père, qui était un chien. »