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et le volume sans en changer la forme et sans altérer la qualité de la matière du moule, puisqu’elle est en effet de la même forme et de la même qualité que celle qui le constitue ; ainsi, dans la qualité d’aliments que l’animal prend pour soutenir sa vie et pour entretenir le jeu de ses organes, et dans la sève que le végétal tire par ses racines et par ses feuilles, il y en a une grande partie qu’il rejette par la transpiration, les sécrétions et les autres voies excrétoires, et il n’y en a qu’une petite portion qui serve à la nourriture intime des parties et à leur développement : il est très vraisemblable qu’il se fait, dans le corps de l’animal ou du végétal, une séparation des parties brutes de la matière des aliments et des parties organiques, que les premières sont emportées par les causes dont nous venons de parler, qu’il n’y a que les parties organiques qui restent dans le corps de l’animal ou du végétal, et que la distribution s’en fait au moyen de quelque puissance active qui les porte à toutes les parties dans une proportion exacte, et telle qu’il n’en arrive ni plus ni moins qu’il ne faut pour que la nutrition, l’accroissement ou le développement se fassent d’une manière à peu près égale[NdÉ 1].

C’est ici la seconde question : quelle peut être la puissance active qui fait que cette matière organique pénètre le moule intérieur et se joint, ou plutôt s’incorpore intimement avec lui ? Il paraît, par ce que nous avons dit dans le chapitre précédent, qu’il existe dans la nature des forces, comme celle de la pesanteur, qui sont relatives à l’intérieur de la matière, et qui n’ont aucun rapport avec les qualités extérieures des corps, mais qui agissent sur les parties les plus intimes et qui les pénètrent dans tous les points ; ces forces, comme nous l’avons prouvé, ne pourront jamais tomber sous nos sens, parce que leur action se faisant sur l’intérieur des corps, et nos sens ne pouvant nous représenter que ce qui se fait à l’extérieur, elles ne sont pas du genre des choses que nous puissions apercevoir ; il faudrait pour cela que nos yeux, au lieu de nous représenter les surfaces, fussent organisés de façon à nous représenter les masses des corps, et que notre vue pût pénétrer dans leur structure et dans la composition intime de la matière ; il est donc évident que nous n’aurons jamais d’idée nette de ces forces pénétrantes, ni de la manière dont elles agissent ; mais en même temps il n’est pas moins certain qu’elles existent, que c’est par leur moyen que se produisent la plus grande partie des effets de la nature, et qu’on doit en particulier leur attribuer l’effet de la nutrition et du développement, puisque nous sommes assurés qu’il ne se peut faire qu’au moyen de la pénétration intime du moule intérieur ; car de la

  1. Buffon se montre ici très inférieur à ce qu’il est dans d’autres parties de son œuvre. Il admet ailleurs que la matière vivante n’est qu’une forme spéciale de la matière non vivante ; il semble qu’il eût dû comprendre que cette transformation de l’une des formes de la matière en l’autre se produisait précisément dans la nutrition des êtres vivants. Il préfère admettre la préexistence, dans la nature, de « parties organiques vivantes », qui s’incorporeraient aux parties vivantes de l’organisme. Il commet en cela une erreur grossière, fort excusable, d’ailleurs, étant donné l’état d’infériorité dans lequel se trouvait à son époque la chimie.