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On voit, par ces deux épreuves et par d’autres faits semblables, que les conducteurs ou gouverneurs de ces animaux nous ont rapportés, que jamais aucun chien n’a osé les attaquer, en sorte qu’ils semblent reconnaître encore dans leurs individus leurs ennemis naturels, c’est-à-dire le loup.

DE LA FEMELLE. — TROISIÈME GÉNÉRATION.

Dans le mois de novembre de l’année 1776, je fis conduire dans ma terre de Buffon le mâle et la femelle de la seconde génération, qui étaient nés le 3 mars précédent. On les mit en arrivant dans une grande cour où ils ont resté environ deux ans, et où je leur fis faire une petite cabane pour les mettre à couvert dans le mauvais temps et pendant la nuit. Ils ont toujours vécu dans une assez bonne union, et on ne s’est pas aperçu qu’ils aient eu de l’aversion l’un pour l’autre ; seulement le mâle parut, dès la fin de sa première année, avoir pris de l’autorité sur sa femelle : car souvent il ne lui permettait pas de toucher la première à la nourriture, surtout lorsque c’était de la viande.

J’ordonnai qu’on ne les laissât pas aller avec les chiens du village, surtout dès qu’ils eurent atteint l’âge de dix-huit à vingt mois, afin de les empêcher de s’allier avec eux. Cette précaution me parut nécessaire, car mon objet étant de voir si, au bout d’un certain nombre de générations, ces métis ne retourneraient pas à l’espèce du loup ou bien à celle du chien, il était essentiel de conserver la race toujours pure, en ne faisant allier ensemble que les individus qui en proviendraient. On sent bien que si, au lieu de faire unir ensemble ces animaux métis, on les avait fait constamment et successivement allier avec le chien, la race n’aurait pas manqué de reprendre, petit à petit, le type de cette dernière espèce, et aurait à la fin perdu tous les caractères qui la faisaient participer du loup. Il en eût été de même, quoique avec un résultat différent, si on les eût alliés au contraire constamment et successivement avec le loup ; au bout d’un certain nombre de générations les individus n’auraient plus été des métis, mais des animaux qui auraient ressemblé en tout à l’espèce du loup.

À la fin de l’année 1777, ce mâle et cette femelle de seconde génération parurent avoir acquis tout leur accroissement ; cependant ils ne s’accouplèrent que le 30 ou 31 décembre 1778, c’est-à-dire à l’âge d’environ deux ans et dix mois. C’est aussi à peu près à cet âge que l’espèce du loup est en état de produire ; et dès lors il paraît que nos animaux métis avaient plus de rapport avec le loup par le temps auquel ils peuvent engendrer, qu’ils n’en avaient avec le chien qui produit ordinairement à l’âge d’un an et quelques mois. À ce premier rapport entre le loup et nos animaux métis, on doit en ajouter un second, qui est celui de la fécondité, laquelle paraissait être à peu près la même. Nos métis, tant de la première que de la seconde géné-