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terre ; il la flaira dans cette situation, et, dès qu’il eût reconnu son sexe, il la laissa tranquille. On fit ensuite entrer la vieille femelle, qui, comme le mâle, s’élança d’abord vers la chienne, puis se jeta dessus, et celle-ci s’enfuit et se rangea contre un mur, où elle fit si bonne contenance, que la femelle se contenta d’une seconde attaque dans laquelle le mâle se rendit médiateur entre sa femelle et la chienne ; il donna même un coup de dent à sa femelle pour la forcer à cesser le combat. Cependant, ayant mis le médiateur à la chaîne pour laisser toute liberté à sa femelle, elle ne fit que voltiger autour de la chienne, en cherchant à la prendre par derrière, et c’est là la vraie allure du loup, qui met toujours plus de ruse que de courage dans ses attaques : néanmoins, le vieux mâle paraissait avoir de la hardiesse et du courage, car il ne balançait pas à se jeter sur les chiens ; il les attaquait en brave, et sans chercher à les surprendre par derrière. Au reste, ni le mâle ni la femelle de nos animaux métis n’aboyaient comme font les chiens lorsqu’ils se battent ; leur poil se hérissait, et ils grondaient seulement un peu avant d’attaquer leur ennemi.

Quelques jours après, on fit entrer un mâtin à peu près aussi grand et aussi fort que notre vieux mâle, qui n’hésita pas à l’attaquer. Le mâtin se défendit d’abord assez bien, parce qu’il était excité par son maître ; mais cet homme ayant été forcé de se retirer parce que notre vieux mâle voulait se jeter sur lui et l’avait déjà saisi par ses habits, son chien se retrancha aussitôt contre la porte par laquelle son maître était sorti, et il n’osa plus reparaître dans le jardin. Pendant tout ce temps, la vieille femelle marquait beaucoup d’impatience pour combattre ; mais avant de lui en donner la liberté, on crut devoir attacher son mâle, afin de rendre le combat égal. Ayant donc mis cette femelle en liberté, elle s’élança tout de suite sur le chien, qui, n’ayant pas quitté son poste, ne pouvait être attaqué que par devant ; aussi, dès la première attaque, elle prit le parti de ne point hasarder un combat en règle ; elle se contenta de courir lestement autour du jardin pour tâcher de le surprendre par derrière, comme elle avait fait quelques jours auparavant avec la chienne, et voyant que cela ne lui réussissait pas, elle resta tranquille.

Comme l’on présumait que le peu de résistance et de courage qu’avait montré ce mâtin, qui d’ailleurs passait pour être très fort et très méchant, que ce peu de courage, dis-je, venait peut-être de ce qu’il était dépaysé, et qu’il pourrait être plus hardi dans la maison de son maître, on y conduisit le vieux mâle par la chaîne ; il y trouva le mâtin dans une petite cour : notre vieux mâle n’en fut pas intimidé et se promena fièrement dans cette cour ; mais le mâtin, quoique sur son pailler, parut très effrayé, et n’osa pas quitter le coin où il s’était rencoigné ; en sorte que sans combattre il fut vaincu, car étant chez son maître il n’aurait pas manqué d’attaquer notre mâle, s’il n’eût pas reconnu dès la première fois la supériorité de sa force.