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il la maltraitait, ainsi que ses petits ; il les terrassait, les mordait durement, et ne leur permettait de se relever que quand sa colère était passée. Les femelles, au contraire, ne s’irritaient contre personne, à moins qu’on ne les provoquât ; elles aboyaient seulement contre les gens qu’elles ne connaissaient pas, mais elles ne se sont jamais élancées contre eux.

5o Le mâle et la femelle de la première génération avaient l’odorat très bon ; ils sentaient de très loin, et, sans le secours de leurs yeux, ils distinguaient de loin les étrangers et ceux qu’ils connaissaient ; ils sentaient même à travers les murs et les clôtures qui les renfermaient, car ils hurlaient lorsque quelque étranger marchait autour de leur écurie, et témoignaient au contraire leur joie lorsque c’était des gens de connaissance ; mais on a remarqué que c’étaient les mâles qui semblent être avertis les premiers par l’odorat, car les femelles n’aboyaient ou ne hurlaient dans ce cas qu’après les mâles.

6o Ils exhalaient une odeur forte qui tenait beaucoup de l’odeur du loup, car les chiens domestiques ne s’y méprenaient pas, et les fuyaient comme s’ils eussent été de vrais loups. Dans le voyage de nos quatre animaux de Namur à Paris, les chiens des campagnes, loin de s’en approcher, les fuyaient, au contraire, dès qu’ils venaient de les apercevoir ou de les sentir.

7o Lorsque ces quatre animaux jouaient ensemble, si l’un d’eux était mécontent, et s’il criait parce qu’il se sentait froissé ou blessé, les trois autres se jetaient aussitôt sur lui, le roulaient, le tiraient par la queue, par les pieds, etc., jusqu’à ce qu’il eût cessé de se plaindre, et ensuite ils continuaient de jouer avec lui comme auparavant. J’ai vu la même chose dans plusieurs autres espèces d’animaux, et même dans celle des souris. En général, les animaux ne peuvent souffrir le cri de douleur dans leurs semblables, et ils le punissent s’il rend ce cri mal à propos.

8o Je voulus savoir quel serait l’instinct de nos quatre animaux, soit en aversion, soit en courage ; et comme les chats sont ceux que les chiens haïssent de préférence, on fit entrer un chat dans le jardin fermé où on les tenait pendant le jour ; dès qu’ils l’aperçurent, ils s’empressèrent tous de le poursuivre : le chat grimpa sur un arbre, et nos quatre animaux s’arrangèrent comme pour le garder, et n’ôtaient pas la vue de dessus la proie qu’ils attendaient. En effet, dès qu’on fit tomber le chat en cassant la branche sur laquelle il se tenait, le vieux mâle le saisit dans sa gueule avant qu’il n’eût touché terre ; il acheva de le tuer à l’aide de sa famille, qui se réunit à lui pour cette expédition, et néanmoins ni les uns ni les autres ne mangèrent de sa chair, pour laquelle ils marquèrent autant de répugnance que les chiens ordinaires en ont pour cette sorte de viande.

Le lendemain, on fit entrer dans le même jardin une grosse chienne de la race des dogues, contre laquelle on lâcha le vieux mâle, qui s’élança tout aussitôt vers elle, et la chienne, au lieu de se défendre, se coucha ventre à