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Ces travaux consistent principalement en observations suivies sur les différents sujets qu’on veut approfondir, et en expériences raisonnées, dont le succès nous apprendrait de nouvelles vérités : par exemple, l’union des animaux d’espèces différentes, par laquelle seule on peut reconnaître leur parenté, n’a pas été assez tentée. Les faits que nous avons pu recueillir au sujet de cette union volontaire ou forcée se réduisent à si peu de chose, que nous ne sommes pas en état de prononcer sur l’existence réelle des jumarts.

On a donné ce nom jumart d’abord aux animaux mulets ou métis qu’on a prétendu provenir du taureau et de la jument ; mais on a aussi appelé jumart le produit réel ou prétendu de l’âne et de la vache. Le docteur Shaw dit que, dans les provinces de Tunis et d’Alger, « il y a une espèce de mulet nommé kumrach qui vient d’un âne et d’une vache, que c’est une bête de charge, petite à la vérité, mais de fort grand usage ; que ceux qu’il a vus n’avaient qu’une corne au pied comme l’âne, mais qu’ils étaient fort différents à tous égards, ayant le poil lisse et la queue et la tête de vache, excepté qu’ils n’avaient point de cornes[1]. »

Voilà donc déjà deux sortes de jumarts, le premier qu’on dit provenir du taureau et de la jument, et le second de l’âne et de la vache. Et il est encore question d’un troisième jumart, qu’on prétend provenir du taureau et de l’ânesse. Il est dit dans le Voyage de Mérolle que, dans l’île de Corse :

« Il y avait un animal, portant les bagages, qui provient du taureau et de l’ânesse, et que pour se le procurer on couvre l’ânesse avec une peau de vache fraîche afin de tromper le taureau[2]. »

Mais je doute également de l’existence réelle de ces trois sortes de jumarts, sans cependant vouloir la nier absolument. Je vais même citer quelques faits particuliers, qui prouvent la réalité d’un amour mutuel et d’un accouplement réel entre des animaux d’espèces fort différentes, mais dont néanmoins il n’a rien résulté. Rien ne paraît plus éloigné de l’aimable caractère du chien que le gros instinct brut du cochon ; et la forme du corps dans ces deux animaux est aussi différente que leur naturel ; cependant j’ai deux exemples d’un amour violent entre le chien et la truie : cette année même 1774, dans le courant de l’été, un chien épagneul de la plus grande taille, voisin de l’habitation d’une truie en chaleur, parut la prendre en grande passion ; on les enferma ensemble pendant plusieurs jours, et tous les domestiques de la maison furent témoins de l’ardeur mutuelle de ces deux animaux ; le chien fit même des efforts prodigieux et très réitérés pour s’accoupler avec la truie, mais la disconvenance dans les parties de la génération empêcha leur

  1. Voyage du docteur Shaw en Afrique, t. Ier, p. 308.
  2. Voyage de Mérolle au Congo, en 1682.