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Voilà l’ordre dans lequel la nature nous présente les différents degrés de la fécondité des animaux quadrupèdes. On voit que cette fécondité est d’autant plus petite que l’animal est plus grand. En général, cette même échelle inverse de la fécondité relativement à la grandeur se trouve dans tous les autres ordres de la nature vivante ; les petits oiseaux produisent en plus grand nombre que les grands ; il en est de même des poissons, et peut-être aussi des insectes. Mais en ne considérant ici que les animaux quadrupèdes, on voit dans la table qu’il n’y a guère que le cochon qui fasse une exception bien marquée à cette espèce de règle : car il devait se trouver, par la grandeur de son corps, dans le nombre des animaux qui ne produisent que deux ou trois petits une seule fois par an, au lieu qu’il se trouve être en effet aussi fécond que les petits animaux.

Cette table contient tout ce que nous savons sur la fécondité des animaux dans les espèces pures. Mais la fécondité dans les animaux d’espèces mixtes demande des considérations particulières ; cette fécondité est, comme je l’ai dit, toujours moindre que dans les espèces pures. On en verra clairement la raison par une simple supposition. Que l’on supprime, par exemple, tous les mâles dans l’espèce du cheval et toutes les femelles dans celle de l’âne, ou bien tous les mâles dans l’espèce de l’âne et toutes les femelles dans celle du cheval, il ne naîtra plus que des animaux mixtes, que nous avons appelés mulets et bardots, et ils naîtront en moindre nombre que les chevaux ou les ânes, puisqu’il y a moins de convenances, moins de rapports de nature entre le cheval et l’ânesse ou l’âne et la jument qu’entre l’âne et l’ânesse ou le cheval et la jument. Dans le réel, c’est le nombre des convenances ou des disconvenances qui constitue ou sépare les espèces, et puisque celle de l’âne se trouve de tout temps séparée de celle du cheval, il est clair qu’en mêlant ces deux espèces, soit par les mâles, soit par les femelles, on diminue le nombre des convenances qui constituent l’espèce. Donc les mâles engendreront et les femelles produiront plus difficilement, plus rarement en conséquence de leur mélange ; et même ces espèces mélangées ne produiraient point du tout si leurs disconvenances étaient un peu plus grandes. Les mulets de toute sorte seront donc toujours rares dans l’état de nature, car ce n’est qu’au défaut de sa femelle naturelle qu’un animal de quelque espèce qu’il soit recherchera une autre femelle moins convenable pour lui, et à laquelle il conviendrait moins aussi que son mâle naturel. Et quand même ces deux animaux d’espèces différentes s’approcheraient sans répugnance et se joindraient avec quelque empressement dans les temps du besoin de l’amour, leur produit ne sera ni aussi certain ni aussi fréquent que dans l’espèce pure, où le nombre beaucoup plus grand de ces mêmes convenances fonde les rapports de l’appétit physique et en multiplie toutes les sensations. Or, ce produit sera d’autant moins fréquent dans l’espèce mêlée que la fécondité sera moindre dans les deux espèces pures dont on fera le mélange ; et le produit