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vra d’un petit mulet bien conformé, dont le poil était long et très noir ; que ce muleton a vécu une heure, mais qu’ayant été blessé, ainsi que la mule, par sa chute forcée, ils étaient morts l’un et l’autre, le muleton le premier, c’est-à-dire presque en naissant, et la mule dix heures après ; qu’ensuite on avait fait écorcher le muleton, et qu’on a envoyé sa peau au docteur Mathi, qui l’a déposée, dit M. de Nort, dans le cabinet de la Société royale de Londres.

D’autres témoins oculaires, et particulièrement M. Cazavant, maître en chirurgie, ajoutent que le muleton paraissait être à terme et bien conformé ; que par l’apparence de son poil, de sa tête et de ses oreilles, il a paru tenir plus de l’âne que les mulets ordinaires ; que la mule avait les mamelles gonflées et remplies de lait ; que lorsque l’on aperçut les pieds du muleton sortant de la vulve, le nègre, maréchal ignorant, l’avait tiré si rudement qu’en arrachant de force le muleton, il avait occasionné un renversement dans la matrice et des déchirements qui avaient occasionné la mort de la mère et du petit.

Ces faits, qui me paraissent bien constatés, nous démontrent que, dans les climats chauds, la mule peut non seulement concevoir, mais perfectionner et porter à terme son fruit. On m’a écrit d’Espagne et d’Italie qu’on en avait plusieurs exemples, mais aucun des faits qui m’ont été transmis n’est aussi bien vérifié que celui que je viens de rapporter : seulement, il nous reste à savoir si cette mule de Saint-Domingue ne tenait pas par sa conception de l’âne plutôt que du mulet ; la ressemblance de son muleton au premier plus qu’au second de ces animaux paraîtrait l’indiquer ; l’ardeur du tempérament de l’âne le rend peu délicat sur le choix des femelles, et le porte à rechercher presque également l’ânesse, la jument et la mule.

Il est donc certain que le mulet peut engendrer et que la mule peut produire : ils ont, comme les autres animaux, tous les organes convenables et la liqueur nécessaire à la génération ; seulement ces animaux d’espèce mixte sont beaucoup moins féconds et toujours plus tardifs que ceux d’espèce pure ; d’ailleurs, ils n’ont jamais produit dans les climats froids, et ce n’est que rarement qu’ils produisent dans les pays chauds, et encore plus rarement dans les contrées tempérées ; dès lors, leur infécondité, sans être absolue, peut néanmoins être regardée comme positive, puisque la production est si rare qu’on peut à peine en citer un certain nombre d’exemples ; mais on a d’abord eu tort d’assurer qu’absolument les mulets et les mules ne pouvaient engendrer, et ensuite on a eu encore plus grand tort d’avancer que tous les autres animaux d’espèces mélangées étaient comme les mulets hors d’état de produire ; les faits que nous avons rapportés ci-devant sur les métis produits par le bouc et la brebis, sur ceux du chien et de la louve, et particulièrement sur les métis des serins et des autres oiseaux, nous démontrent que ces métis ne sont point inféconds, et que quelques-uns sont même aussi féconds à peu près que leurs père et mère.