Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les autres qualités que cet animal docile acquiert dans le commerce de l’homme ; la louve, d’autre part, ayant été élevée en toute liberté et familièrement dès son bas âge avec le chien, qui, par cette habitude sans contrainte, avait perdu sa répugnance pour elle, était devenue susceptible d’affection pour lui ; elle l’a donc bien reçu lorsque l’heure de la nature a sonné, et quoiqu’elle ait paru se plaindre et souffrir dans l’accouplement, elle a eu plus de plaisir que de douleur, puisqu’elle a permis qu’il fût réitéré chaque jour pendant tout le temps qu’a duré sa chaleur. D’ailleurs, le moment pour faire réussir cette union disparate a été bien saisi : c’était la première chaleur de la louve, elle n’était qu’à la seconde année de son âge, elle n’avait donc pas encore repris entièrement son naturel féroce ; toutes ces circonstances, et peut-être quelques autres dont on ne s’est point aperçu, ont contribué au succès de l’accouplement et de la production. Il semblerait donc, par ce qui vient d’être dit, que le moyen le plus sûr de rendre les animaux infidèles à leur espèce, c’est de les mettre comme l’homme en grande société, en les accoutumant peu à peu avec ceux pour lesquels ils n’auraient sans cela que de l’indifférence ou de l’antipathie. Quoi qu’il en soit, on saura maintenant, grâces aux soins de M. le marquis de Spontin, et on tiendra dorénavant pour chose sûre que le chien peut produire avec la louve, même dans nos climats ; j’aurais bien désiré qu’après une expérience aussi heureuse, ce premier succès eût engagé son illustre auteur à tenter l’union du loup et de la chienne, et celle des renards et des chiens : il trouvera peut-être que c’est trop exiger, et que je parle ici avec l’enthousiasme d’un naturaliste insatiable ; j’en conviens, et j’avoue que la découverte d’un fait nouveau dans la nature m’a toujours transporté[1].

Mais revenons à nos mulets : le nombre des mâles, dans ceux que j’ai obtenus du bouc et de la brebis, est comme 7 sont à 2 ; dans ceux du chien et de la louve, ce nombre est comme 3 sont à 1, et dans ceux des chardonnerets et de la serine, comme 16 sont à 3. Il paraît donc presque certain que le nombre des mâles, qui est déjà plus grand que celui des femelles dans les espèces pures, est encore bien plus grand dans les espèces mixtes. Le mâle influe donc en général plus que la femelle sur la production, puisqu’il donne son sexe au plus grand nombre, et que ce nombre des mâles

  1. Un fait tout pareil vient de m’être annoncé par M. Bourgelat, dans une lettre qu’il m’a écrite le 15 avril 1775, et dont voici l’extrait : « Milord comte de Pembroke me mande, dit M. Bourgelat, qu’il a vu accoupler depuis plusieurs jours une louve et un gros mâtin, que la louve est apprivoisée, qu’elle est toujours dans la chambre de son maître et constamment sous ses yeux, enfin qu’elle ne sort qu’avec lui, et qu’elle le suit aussi fidèlement qu’un chien. Il ajoute qu’un marchand d’animaux a eu à quatre reprises différentes des productions de la louve et du chien ; il prétend que le loup n’est autre chose qu’un chien sauvage, et en cela il est d’accord avec le célèbre anatomiste Hunter. Il ne pense pas qu’il en soit de même des renards. Il m’écrit encore que la chienne du lord Clansbrawill, fille d’un loup, accouplée avec un chien d’arrêt, a fait des petits qui, selon son garde-chasse, seront excellents pour le fusil. »