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l’ancien : seulement il faut observer qu’il y a beaucoup plus de différence entre la nature et la forme des makis et de ces quadrumanes américains qu’entre celle des guenons et des sapajous ; et qu’il y a si loin d’un sarigue, d’une marmose, ou d’un phalanger à un maki, qu’on ne peut pas supposer qu’ils viennent les uns des autres, sans supposer en même temps que la dégénération peut produire des effets égaux à ceux d’une nature nouvelle, car la plupart de ces quadrumanes de l’Amérique ont une poche sous le ventre ; la plupart ont dix dents à la mâchoire supérieure et dix à l’inférieure ; la plupart ont la queue préhensile, tandis que les makis ont la queue lâche, n’ont point de poches sous le ventre, et n’ont que quatre dents incisives à la mâchoire supérieure et six à l’inférieure : ainsi, quoique ces animaux aient les mains et les doigts conformés de la même manière, et qu’ils se ressemblent aussi par l’allongement du museau, leurs espèces et même leurs genres sont si différents, si éloignés, qu’on ne peut pas imaginer qu’ils soient issus les uns des autres, ni que des disparités aussi grandes et aussi générales aient jamais été produites par la dégénération.

Au contraire, les tigres d’Amérique que nous avons indiqués sous les noms de jaguars, couguars, ocelots et margais, quoique d’espèces différentes de la panthère, du léopard, de l’once, du guépard et du serval de l’ancien continent, sont cependant bien certainement du même genre ; tous ces animaux se ressemblent beaucoup tant à l’extérieur qu’à l’intérieur ; ils ont aussi le même naturel, la même férocité, la même véhémence de goût pour le sang ; et ce qui les rapproche encore de plus près pour le genre, c’est qu’en les comparant, on trouve que ceux du même continent diffèrent autant et plus les uns des autres que de ceux de l’autre continent : par exemple, la panthère de l’Afrique diffère moins du jaguar du Brésil, que celui-ci ne diffère du couguar, qui cependant est du même pays ; de même le serval de l’Asie et le margai de la Guyane sont moins différents entre eux qu’ils ne le sont de tous ceux de leur propre continent ; on pourrait donc croire avec assez de fondement que ces animaux ont eu une origine commune, et supposer qu’ayant autrefois passé d’un continent à l’autre, leurs différences actuelles ne sont venues que de la longue influence de leur nouvelle situation.

Les mouffettes ou puants d’Amérique, et le putois d’Europe, paraissent être du même genre. En général, lorsqu’un genre est commun aux deux continents, les espèces qui le composent sont plus nombreuses dans l’ancien que dans le nouveau : ici c’est tout le contraire, on y trouve quatre ou cinq espèces de putois, tandis que nous n’en avons qu’un, dont la nature paraît même inférieure ou moins exaltée que celle de tous les autres ; en sorte qu’à son tour le nouveau monde paraît avoir des représentants dans l’ancien ; et si l’on ne jugeait que par le fait, on croirait que ces animaux ont fait la route contraire, et ont autrefois passé d’Amérique en Europe. Il