Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monde aucun animal qu’on pût leur comparer, ni pour la grandeur ni pour la forme ; le tapir est celui dont la nature semblerait être la moins éloignée de tous, mais en même temps elle paraît si mêlée et elle approche si peu de chacun en particulier, qu’il n’est pas possible d’en attribuer l’origine à la dégénération de telle ou telle espèce, et que malgré les petits rapports que cet animal se trouve avoir avec le rhinocéros, l’hippopotame et l’âne, on doit le regarder non seulement comme étant d’une espèce particulière, mais même d’un genre singulier et différent de tous les autres.

Ainsi le tapir n’appartient ni de près ni de loin à aucune espèce de l’ancien continent, et à peine porte-t-il quelques caractères qui l’approchent des animaux auxquels nous venons de le comparer. Le cabiai se refuse de même à toute comparaison ; il ne ressemble à l’extérieur à aucun autre animal, et ce n’est que par les parties intérieures qu’il approche du cochon d’Inde, qui est de son même continent, et tous deux sont d’espèces absolument différentes de toutes celles de l’ancien continent.

Le lama et la vigogne paraissent avoir des signes plus significatifs de leur ancienne parenté, le premier avec le chameau, et le second avec la brebis. Le lama a, comme le chameau, les jambes hautes, le cou fort long, la tête légère, la lèvre supérieure fendue ; il lui ressemble aussi par la douceur du naturel, par l’esprit de servitude, par la sobriété, par l’aptitude au travail ; c’était chez les Américains le premier et le plus utile de leurs animaux domestiques, ils s’en servaient comme les Arabes se servent du chameau pour porter des fardeaux : voilà bien des convenances dans la nature de ces deux animaux, et l’on peut encore y ajouter celles des stigmates du travail, car quoique le dos du lama ne soit pas déformé par des bosses comme celui du chameau, il a néanmoins des callosités naturelles sur la poitrine, parce qu’il a la même habitude de se reposer sur cette partie de son corps. Malgré tous ces rapports, le lama est d’une espèce très distincte et très différente de celle du chameau ; d’abord il est beaucoup plus petit et n’a pas plus du quart ou du tiers du volume du chameau ; la forme de son corps, la qualité et la couleur de son poil, sont aussi fort différentes ; le tempérament l’est encore plus ; c’est un animal pituiteux, et qui ne se plaît que dans les montagnes, tandis que le chameau est d’un tempérament sec, et habite volontiers dans les sables brûlants : en tout, il y a peut-être plus de différences spécifiques entre chameau et le lama, qu’entre le chameau et la girafe : ces trois animaux ont plusieurs caractères communs par lesquels ont pourrait les réunir au même genre ; mais en même temps ils diffèrent à tant d’autres égards qu’on ne serait pas fondé à supposer qu’ils sont issus les uns des autres ; ils sont voisins et ne sont pas parents. La girafe a près du double de la hauteur du chameau, et le chameau le double du lama ; les deux premiers sont de l’ancien continent et forment des espèces séparées : à plus forte raison le lama, qui ne