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plus ou moins étendues, et ont plus ou moins varié suivant les différents climats : tous ces animaux se ressemblent par le naturel, quoiqu’ils soient très différents pour la grandeur et par la figure ; ils ont tous les yeux étincelants, le museau court et les ongles aigus, courbés et rétractibles ; ils sont tous nuisibles, féroces, indomptables ; le chat, qui en est la dernière et la plus petite espèce, quoique réduit en servitude, n’en est ni moins perfide ni moins volontaire ; le chat sauvage a conservé le caractère de la famille ; il est aussi cruel, aussi méchant, aussi déprédateur en petit que ses consanguins le sont en grand ; ils sont tous également carnassiers, également ennemis des autres animaux. L’homme, avec toutes ses forces, n’a jamais pu les détruire ; on a de tout temps employé contre eux le feu, le fer, le poison, les pièges ; mais comme tous les individus multiplient beaucoup, et que les espèces elles-mêmes sont fort multipliées, les efforts de l’homme se sont bornés à les faire reculer et à les resserrer dans les déserts, dont ils ne sortent jamais sans répandre la terreur et causer autant de dégât que d’effroi ; un seul tigre échappé de sa forêt suffit pour alarmer tout un peuple et le forcer à s’armer : que serait-ce si ces animaux sanguinaires arrivaient en troupe, et s’ils s’entendaient comme les chiens sauvages ou les chacals dans leurs projets de déprédation ? La nature a donné cette intelligence aux animaux timides, mais heureusement les animaux fiers sont tous solitaires ; ils marchent seuls et ne consultent que leur courage, c’est-à-dire la confiance qu’ils ont en leur force. Aristote avait remarqué avant nous que de tous les animaux qui ont des griffes, c’est-à-dire des ongles crochus et rétractibles, aucun n’était social, aucun n’allait en troupe[1] : cette observation qui ne portait alors que sur quatre ou cinq espèces, les seules de ce genre qui fussent connues de son temps, s’est étendue et trouvée vraie sur dix ou douze autres espèces qu’on a découvertes depuis ; les autres animaux carnassiers, tels que les loups, les renards, les chiens, les chacals, les isatis, qui n’ont point de griffes, mais seulement des ongles droits, vont pour la plupart en troupes, et sont tous timides et même lâches.

En comparant ainsi tous les animaux et les rappelant chacun à leur genre, nous trouverons que les deux cents espèces dont nous avons donné l’histoire peuvent se réduire à un assez petit nombre de familles ou souches principales, desquelles il n’est pas impossible que toutes les autres soient issues[NdÉ 1].

Et pour mettre de l’ordre dans cette réduction, nous séparerons d’abord les animaux des deux continents ; et nous observerons qu’on peut réduire à

  1. « Nullum animal cui ungues adunci, gregatile esse perpendimus. » Arist., Hist. anim., lib. i, cap. i.
  1. Vue très juste [Note de Wikisource : à condition, comme on l’a dit, d’entendre par là que toutes les espèces ont un ancêtre commun avec l’une de ces espèces principales, non pas qu’elles descendent d’un individu de l’une de ces espèces]. Buffon est, on le voit, résolument partisan de la transformation des espèces. Les preuves qu’il en donne sont excellentes, et les causes qu’il lui attribue sont admises par tous les naturalistes modernes.