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au lieu que la louve et la femelle renard n’ont jamais voulu souffrir les approches du chien ; l’état de domesticité semble rendre les animaux plus libertins, c’est-à-dire moins fidèles à leur espèce ; il les rend aussi plus chauds et plus féconds, car la chienne peut produire et produit même assez ordinairement deux fois par an, au lieu que la louve et la femelle renard ne portent qu’une fois dans une année ; et il est à présumer que les chiens sauvages, c’est-à-dire les chiens qui ont été abandonnés dans des pays déserts et qui se sont multipliés dans l’île de Juan-Fernandès, dans les montagnes de Saint-Domingue, etc., ne produisent qu’une fois par an comme le renard et le loup ; ce fait, s’il était constaté, confirmerait pleinement l’unité du genre de ces trois animaux, qui se ressemblent si fort par la conformation qu’on ne doit attribuer qu’à quelques circonstances extérieures leur répugnance à se joindre.

Le chien paraît être l’espèce moyenne et commune entre celles du renard et du loup[NdÉ 1] ; les anciens nous ont transmis, comme deux faits certains, que le chien, dans quelques pays et dans quelques circonstances, produit avec le loup et avec le renard[1]. J’ai voulu le vérifier, et quoique je n’aie pas réussi dans les épreuves que j’ai faites à ce sujet, on n’en doit pas conclure que cela soit impossible : car je n’ai pu faire ces essais que sur des animaux captifs, et l’on sait que dans la plupart d’entre eux la captivité seule suffit pour éteindre le désir et pour les dégoûter de l’accouplement, même avec leurs semblables ; à plus forte raison cet état forcé doit les empêcher de s’unir avec des individus d’une espèce étrangère ; mais je suis persuadé que dans l’état de liberté et de célibat, c’est-à-dire de privation de sa femelle, le chien peut en effet s’unir au loup et au renard, surtout si devenu sauvage, il a perdu son odeur de domesticité, et s’est en même temps rapproché des mœurs et des habitudes naturelles de ces animaux. Il n’en est pas de même de l’union du renard avec le loup, je ne la crois guère possible : du moins, dans la nature actuelle, le contraire paraît démontré par le fait, puisque ces deux animaux se trouvent ensemble dans le même climat et dans les mêmes terres, et que se soutenant chacun dans leur espèce sans se chercher, sans se mêler, il faudrait supposer une dégénération plus ancienne que la mémoire des hommes pour les réunir à la même espèce ; c’est par cette raison que j’ai dit que celle du chien était moyenne entre celles du renard et du loup, elle

  1. « In Cyrenensi agro lupi cum canibus cœunt, et laconici canes ex vulpe et cane generantur. Aristot., Hist. anim., lib. viii, cap. xxviii… « Cœunt animalia generis ejusdem secundùm naturam, sed ea etiam quorum genus diversum quidem, sed natura non multum distat ; si modò par magnitudo sit et tempora æquent graviditatis, rarò id fit, sed tamen id fieri et in canibus et in vulpibus et in lupis certum est. » Idem, De generat. anim., lib. ii, cap. v.
  1. Beaucoup de naturalistes admettent que le chien est un produit de transformation soit du chacal, soit du loup.