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succès de leur génération, l’est aussi pour la conservation du produit ; il faut que l’ânon naisse dans un temps chaud, autrement il périt ou languit ; et comme la gestation de l’ânesse est d’un an, elle met bas dans la même saison qu’elle a conçu : ceci prouve assez combien la chaleur est nécessaire non seulement à la fécondité, mais même à la pleine vie de ces animaux ; c’est encore par cette même raison de la trop grande ardeur de la femelle qu’on lui donne le mâle presque immédiatement après qu’elle a mis bas ; on ne lui laisse que sept ou huit jours de repos ou d’intervalle entre l’accouchement et l’accouplement ; l’ânesse, affaiblie par sa couche, est alors moins ardente, les parties n’ont pas pu dans ce petit espace de temps reprendre toute leur raideur ; au moyen de quoi la conception se fait plus sûrement que quand elle est en pleine force et que son ardeur la domine : on prétend que dans cette espèce, comme dans celle du chat, le tempérament de la femelle est encore plus ardent et plus fort que celui du mâle ; cependant l’âne est un grand exemple en ce genre, il peut aisément saillir sa femelle ou une autre plusieurs jours de suite et plusieurs fois par jour ; les premières jouissances, loin d’éteindre ne font qu’allumer son ardeur ; on en a vu s’excéder sans y être incités autrement que par la force de leur appétit naturel ; on en a vu mourir sur le champ de bataille, après onze ou douze conflits réitérés presque sans intervalle, et ne prendre pour subvenir à cette grande et rapide dépense que quelques pintes d’eau. Cette même chaleur qui le consume est trop vive pour être durable ; l’âne étalon est bientôt hors de combat et même de service, et c’est peut-être par cette raison que l’on a prétendu que la femelle est plus forte et vit plus longtemps que le mâle ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’avec les ménagements que nous avons indiqués elle peut vivre trente ans, et produire tous les ans pendant toute sa vie ; au lieu que le mâle, lorsqu’on ne le contraint pas à s’abstenir de femelles, abuse de ses forces au point de perdre en peu d’années la puissance d’engendrer.

L’âne et l’ânesse tendent donc toutes deux à la stérilité par des propriétés communes, et aussi par des qualités différentes ; le cheval et la jument y tendent de même par d’autres voies. On peut donner l’étalon à la jument neuf ou dix jours après qu’elle a mis bas, et elle peut produire cinq ou six ans de suite, mais après cela elle devient stérile ; pour entretenir sa fécondité il faut mettre un intervalle d’un an entre chacune de ses portées, et la traiter différemment de l’ânesse ; au lieu de lui donner l’étalon après qu’elle a mis bas il faut le lui réserver pour l’année suivante et attendre le temps où sa chaleur se manifeste par les humeurs qu’elle jette ; et même avec ces attentions il est rare qu’elle soit féconde au delà de l’âge de vingt ans ; d’autre côté, le cheval, quoique moins ardent et plus délicat que l’âne, conserve néanmoins plus longtemps la faculté d’engendrer. On a vu de vieux chevaux, qui n’avaient plus la force de monter la jument sans l’aide du