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manquer de se léser davantage, on ne doit attendre qu’un produit tout à fait vicié ou absolument nul.

Par le mélange du mulet avec la jument, du bardot avec l’ânesse, et par celui du cheval et de l’âne avec les mules, on obtiendrait des individus qui remonteraient à l’espèce et ne seraient plus que des demi-mulets, lesquels non seulement auraient, comme leurs parents, la puissance d’engendrer avec ceux de leur espèce originaire, mais peut-être même auraient la faculté de produire entre eux, parce que, n’étant plus lésés qu’à demi, leur produit ne serait pas plus vicié que ne le sont les premiers mulets ; et si l’union de ces demi-mulets était encore stérile, ou que le produit en fût et rare et difficile, il me paraît certain qu’en les rapprochant encore d’un degré de leur espèce originaire, les individus qui en résulteraient, et qui ne seraient plus lésés qu’au quart, produiraient entre eux, et formeraient une nouvelle tige qui ne serait précisément ni celle du cheval ni celle de l’âne. Or, comme tout ce qui peut être a été amené par le temps et se trouve ou s’est trouvé dans la nature, je suis tenté de croire que le mulet fécond dont parlent les anciens, et qui, du temps d’Aristote, existait en Syrie dans les terres au delà de celles des Phéniciens, pouvait bien être une race de ces demi-mulets ou de ces quarts de mulets, qui s’était formée par les mélanges que nous venons d’indiquer : car Aristote dit expressément que ces mulets féconds ressemblaient en tout, et autant qu’il est possible, aux mulets inféconds[1] ; il les distingue aussi très clairement des onagres ou ânes saurages, dont il fait mention dans le même chapitre, et par conséquent on ne peut rapporter ces animaux qu’à des mulets peu viciés et qui auraient conservé la faculté de reproduire. Il se pourrait encore que le mulet fécond de Tartarie, le czigithai dont nous avons parlé, ne fût pas l’onagre ou âne saurage, mais ce même mulet de Phénicie dont la race s’est peut-être maintenue jusqu’à ce jour ; le premier voyageur qui pourra les comparer confirmera ou détruira cette conjecture. Et le zèbre lui-même, qui ressemble plus au mulet qu’au cheval et qu’à l’âne, pourrait bien avoir eu une pareille origine ; la régularité contrainte et symétrique des couleurs de son poil, qui sont alternativement toujours disposées par bandes noires et blanches, paraît indiquer qu’elles proviennent de deux espèces différentes, qui dans leur mélange se sont séparées autant qu’il était possible : car, dans aucun de ses ouvrages, la nature n’est aussi tranchée et aussi peu nuancée que sur la robe du

  1. « In terrâ Syriâ super Phenicem mulæ et cœunt et parinnt ; sed id genus diversum quanquam simile. » Arist., Hist. anim., lib. vi, cap. xxiv… « Sunt in Syriâ quos mulos appellant genus diversum ab eo quod coïtu equæ et asini procreatur : sed simile facie, quomodò asini sylvestres similitudine quidam nomen urbanorum accepere ; et quidem ut asini illi feri sic muli præstant celeritate. Procreant ejusmodi mulæ suo in genere. Cujus rei argumento illæ sunt quæ tempore Pharnacæ patris Pharnabazim in terram Phrygiam venerunt, quæ adhuc extant. Tres tamen ex novem, quos numero olim fuisse ainnt, servantur hoc tempore. » Idem, cap. xxxvi.