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dant pas aussi profondément lésé qu’on se l’imagine d’après ce préjuge, puisqu’il n’est pas réellement infécond et que sa stérilité ne dépend que de certaines circonstances extérieures et particulières. On sait que les mulets ont souvent produit dans les pays chauds, l’on en a même quelques exemples dans nos climats tempérés ; mais on ignore si cette génération est jamais provenue de la simple union du mulet et de la mule, ou plutôt si le produit n’en est pas dû à l’union du mulet avec la jument, ou encore à celle de l’âne avec la mule. Il y a deux sortes de mulets, le premier est le grand mulet ou mulet simplement dit, qui provient de la jonction de l’âne à la jument ; le second est le petit mulet provenant du cheval et de l’ânesse, que nous appellerons bardot pour le distinguer de l’autre. Les anciens les connaissaient et les distinguaient comme nous par deux noms différents ; ils appelaient mulus le mulet provenant de l’âne et de la jument, et ils donnaient les noms de hinnus, burdo au mulet provenant du cheval et de l’ânesse ; ils ont assuré que le mulet, mulus[1], produit avec la jument un animal auquel ils donnaient aussi le nom de ginnus ou hinnus[2] ; ils ont assuré de même que la mule, mula, conçoit assez aisément, mais qu’elle ne peut que rarement perfectionner son fruit ; et ils ajoutent que quoiqu’il y ait des exemples assez fréquents de mules qui ont mis bas, il faut néanmoins regarder cette production comme un prodige. Mais qu’est-ce qu’un prodige dans la nature, sinon un effet plus rare que les autres ? Le mulet peut donc engendrer, et la mule peut concevoir, porter et mettre bas dans certaines circonstances ; ainsi il ne s’agirait que de faire des expériences pour savoir quelles sont ces circonstances et pour acquérir de nouveaux faits dont on pourrait tirer de grandes lumières sur la dégénération des espèces par le mélange, et par conséquent sur l’unité ou la diversité de chaque genre ; il faudrait, pour réussir à ces expériences, donner le mulet à la mule, à la jument et à l’ânesse, faire la même chose avec le bardot, et voir ce qui résulterait de ces six accouplements différents ; il faudrait aussi donner le cheval et l’âne à la mule, et faire la même chose pour la petite mule ou femelle du bardot : ces épreuves, quoique assez simples, n’ont jamais été tentées dans la vue d’en tirer des lumières ; et je regrette de n’être pas à portée de les exécuter, je suis persuadé qu’il en résulterait des connaissances que je ne fais qu’entrevoir, et que je ne puis donner que comme des présomptions. Je crois, par exemple, que tous ces accouplements, celui du

  1. « Mulus equâ conjunctus mulum procreavit… Mula quoque jam facta gravida est, sed non quoad perficeret atque ederet prolem. » Arist., Hist. anim., lib. vi, cap. xxiv… « Est in annalibus nostris mulas peperisse sæpè ; verùm prodigii loco habitum. » Plin., Hist. nat., lib. viii, cap. xliv.
  2. Nota. Le mot ginnus a été employé par Aristote en deux sens : le premier pour désigner généralement un animal imparfait, un avorton, un mulet nain, provenant quelquefois du cheval avec l’ânesse, ou de l’âne avec la jument ; et le second pour signifier le produit particulier du mulet et de la jument.