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Je ne parlerai point ici des variétés qui se trouvent dans chaque espèce d’animal carnassier, parce qu’elles sont très légères, attendu que de tous les animaux, ceux qui se nourrissent de chair sont les plus indépendants de l’homme et qu’au moyen de cette nourriture déjà préparée par la nature, ils ne reçoivent presque rien des qualités de la terre qu’ils habitent ; que d’ailleurs, ayant tous de la force et des armes, ils sont les maîtres du choix de leur terrain, de leur climat, etc., et que par conséquent les trois causes de changement, d’altération et de dégénération dont nous avons parlé, ne peuvent avoir sur eux que de très petits effets.

Mais après le coup d’œil que l’on vient de jeter sur ces variétés, qui nous indiquent les altérations particulières de chaque espèce, il se présente une considération plus importante et dont la vue est bien plus étendue, c’est celle du changement des espèces mêmes, c’est cette dégénération plus ancienne et de tout temps immémoriale qui paraît s’être faite dans chaque famille, ou, si l’on veut, dans chacun des genres sous lesquels on peut comprendre les espèces voisines et peu différentes entres elles : nous n’avons dans tous les animaux terrestres que quelques espèces isolées, qui, comme celle de l’homme, fassent en même temps espèce et genre ; l’éléphant, le rhinocéros, l’hippopotame, la girafe, forment des genres ou des espèces simples qui ne se propagent qu’en ligne directe et n’ont aucunes branches collatérales ; toutes les autres paraissent former des familles dans lesquelles on remarque ordinairement une souche principale et commune, de laquelle semblent être sorties[NdÉ 1] des tiges différentes et d’autant plus nombreuses que les individus dans chaque espèce sont plus petits et plus féconds.

Sous ce point de vue, le cheval, le zèbre et l’âne sont tous trois de la même famille ; si le cheval est la souche ou le tronc principal, le zèbre et l’âne seront les tiges collatérales ; le nombre de leurs ressemblances entre eux étant infiniment plus grand que celui de leurs différences, on peut les regarder comme ne faisant qu’un même genre, dont les principaux caractères sont clairement énoncés et communs à tous trois : ils sont les seuls qui soient vraiment solipèdes, c’est-à-dire qui aient la corne des pieds d’une seule pièce sans aucune apparence de doigts ou d’ongles, et quoiqu’ils forment trois espèces distinctes elles ne sont cependant pas absolument ni nettement séparées, puisque l’âne produit avec la jument, le cheval avec l’ânesse ; et qu’il est probable que si l’on vient à bout d’apprivoiser le zèbre et d’assouplir sa nature sauvage et récalcitrante, il produirait aussi avec le cheval et l’âne comme ils produisent entre eux.

Et ce mulet qu’on a regardé de tout temps comme une production viciée, comme un monstre composé de deux natures, et que par cette raison l’on a jugé incapable de se reproduire lui-même et de former lignée, n’est cepen-

  1. Pensée très exacte.