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Mais l’espèce sur laquelle le poids de l’esclavage paraît avoir le plus appuyé et fait les impressions les plus profondes, c’est celle du chameau ; il naît avec des loupes sur le dos et des callosités sur la poitrine et sur les genoux : ces callosités sont des plaies évidentes occasionnées par le frottement, car elles sont remplies de pus et de sang corrompu ; comme il ne marche jamais qu’avec une grosse charge, la pression du fardeau a commencé par empêcher la libre extension et l’accroissement uniforme des parties musculeuses du dos, ensuite elle a fait gonfler la chair aux endroits voisins ; et comme lorsque le chameau veut se reposer ou dormir on le contraint d’abord à s’abattre sur ses jambes repliées, et que peu à peu il en prend l’habitude de lui-même, tout le poids de son corps porte pendant plusieurs heures de suite, chaque jour, sur sa poitrine et ses genoux ; et la peau de ces parties pressée, frottée contre la terre, se dépile, se froisse, se durcit et se désorganise. Le lama, qui, comme le chameau, passe sa vie sous le fardeau, et ne se repose aussi qu’en s’abattant sur la poitrine, a de semblables callosités qui se perpétuent de même par la génération. Les babouins et les guenons, dont la posture la plus ordinaire est d’être assis, soit en veillant, soit en dormant, ont aussi des callosités au-dessous de la région des fesses, et cette peau calleuse est même devenue inhérente aux os du derrière contre lesquels elle est continuellement pressée par le poids du corps ; mais ces callosités des babouins et des guenons sont sèches et saines, parce qu’elles ne proviennent pas de la contrainte des entraves ni du faix accablant d’un poids étranger, et qu’elles ne sont, au contraire, que les effets des habitudes naturelles de l’animal, qui se tient plus volontiers et plus longtemps assis que dans aucune autre situation ; il en est de ces callosités des guenons comme de la double semelle de peau que nous portons sous nos pieds ; cette semelle est une callosité naturelle que notre habitude constante à marcher ou rester debout rend plus ou moins épaisse, ou plus ou moins dure, selon le plus ou moins de frottement que nous faisons éprouver à la plante de nos pieds[NdÉ 1].

    l’influence de la domestication. Les chevaux, les chiens, les chats, les bœufs eux-mêmes deviennent facilement blancs. On a remarqué que les chevaux des pampas de l’Amérique du Sud, élevés dans des fermes non encloses, dans des conditions d’existence presque analogues à celles de l’état sauvage, montrent cependant une diversité de coloration qui ne se présente jamais chez les chevaux tout à fait sauvages des mêmes pampas. Il suffit parfois d’un temps fort court pour que la domestication agisse sur la coloration des animaux. D’après Bachman, les dindons sauvages perdent leurs teintes métalliques et commencent à offrir des taches blanches dès la troisième génération. D’après Hewitt, la coloration des canards sauvages soumis à la domestication se modifie au bout de cinq ou six générations ; déjà le collier blanc du mâle s’élargit et devient irrégulier, tandis que des plumes blanches apparaissent dans ses ailes.

  1. Buffon a fort bien compris, on le voit, l’importance de la domestication dans la transformation des caractères des animaux. Tous les organes et toutes les fonctions des animaux sont susceptibles d’être profondément modifiés par la domestication. La plupart des animaux domestiques de notre Europe et des régions civilisées de l’Asie sont tellement différents des