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l’abandon de son être sont les seuls et tristes restes de leur nature dégradée. Si l’on voulait la relever pour la force et la taille, il faudrait unir le mouflon avec notre brebis flandrine et cesser de propager les races inférieures ; et si, comme chose plus utile, nous voulons dévouer cette espèce à ne nous donner que de la bonne chair et de la belle laine, il faudrait au moins, comme l’on fait nos voisins, choisir et propager la race des brebis de Barbarie, qui, transportée en Espagne et même en Angleterre, a très bien réussi. La force du corps et la grandeur de la taille sont des attributs masculins ; l’embonpoint et la beauté de la peau sont des qualités féminines : il faudrait donc, dans le procédé des mélanges, observer cette différence, donner à nos béliers des femelles de Barbarie pour avoir de belles laines, et donner le mouflon à nos brebis pour en relever la taille.

Il en serait à cet égard de nos chèvres comme de nos brebis ; on pourrait, en les mêlant avec la chèvre d’Angora, changer leur poil et le rendre aussi utile que la plus belle laine. L’espèce de la chèvre en général, quoique fort dégénérée, l’est cependant moins que celle de la brebis dans nos climats ; elle paraît l’être davantage dans les pays chauds de l’Afrique et des Indes ; les plus petites et les plus faibles de toutes les chèvres sont celles de Guinée, de Juda, etc., et dans ces mêmes climats l’on trouve, au contraire, les plus grandes et les plus fortes brebis.

L’espèce du bœuf est celle de tous les animaux domestiques sur laquelle la nourriture paraît avoir la plus grande influence ; il devient d’une taille prodigieuse dans les contrées où le pâturage est riche et toujours renaissant ; les anciens ont appelé taureaux-éléphants les bœufs d’Éthiopie et de quelques autres provinces de l’Asie, où ces animaux approchent en effet de la grandeur de l’éléphant : l’abondance des herbes et leur qualité substantielle et succulente produisent cet effet ; nous en avons la preuve même dans notre climat ; un bœuf, nourri sur les têtes des montagnes vertes de Savoie ou de Suisse, acquiert le double du volume de celui de nos bœufs, et néanmoins ces bœufs de Suisse sont comme les nôtres enfermés dans l’étable et réduits au fourrage pendant la plus grande partie de l’année ; mais ce qui fait cette grande différence, c’est qu’en Suisse on les met en pleine pâture dès que les neiges sont fondues, au lieu que dans nos provinces on leur interdit l’entrée des prairies jusqu’après la récolte de l’herbe, qu’on réserve aux chevaux : ils ne sont donc jamais ni largement ni convenablement nourris, et ce serait une attention bien nécessaire, bien utile à l’État, que de faire un règlement à cet égard, par lequel on abolirait les vaines pâtures en permettant les enclos. Le climat a aussi beaucoup influé sur la nature du bœuf : dans les terres du nord des deux continents, il est couvert d’un poil long et doux comme de la fine laine ; il porte aussi une grosse loupe sur les épaules, et cette difformité se trouve également dans tous les bœufs de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique ; il n’y a que