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brune, c’est-à-dire mêlée de blanc et de noir ; ce mulâtre avec un blanc produit un second mulâtre moins brun que le premier ; et si ce second mulâtre s’unit de même à un individu de race blanche, le troisième mulâtre n’aura plus qu’une nuance légère de brun qui disparaîtra tout à fait dans les générations suivantes : il ne faut donc que cent cinquante ou deux cents ans pour laver la peau d’un nègre par cette voie du mélange avec le sang du blanc, mais il faudrait peut-être un assez grand nombre de siècles pour produire ce même effet par la seule influence du climat. Depuis qu’on transporte des nègres en Amérique, c’est-à-dire depuis environ deux cent cinquante ans, l’on ne s’est pas aperçu que les familles noires qui se sont soutenues sans mélange aient perdu quelques nuances de leur teinte originelle ; il est vrai que ce climat de l’Amérique méridionale étant par lui-même assez chaud pour brunir ses habitants, on ne doit pas s’étonner que les nègres y demeurent noirs : pour faire l’expérience du changement de couleur dans l’espèce humaine, il faudrait transporter quelques individus de cette race noire du Sénégal en Danemark, où l’homme ayant communément la peau blanche, les cheveux blonds, les yeux bleus, la différence du sang et l’opposition de couleur est la plus grande. Il faudrait cloîtrer ces nègres avec leur femelles, et conserver scrupuleusement leur race sans leur permettre de la croiser ; ce moyen est le seul qu’on puisse employer pour savoir combien il faudrait de temps pour réintégrer à cet égard la nature de l’homme ; et, par la même raison, combien il en a fallu pour la changer de blanc en noir.

C’est là la plus grande altération que le ciel ai fait subir à l’homme, et l’on voit qu’elle n’est pas profonde ; la couleur de la peau, des cheveux et des yeux, varie par la seule influence du climat ; les autres changements, tels que ceux de la taille, de la forme des traits et de la qualité des cheveux ne me paraissent pas dépendre de cette seule cause : car dans la race des nègres, lesquels, comme l’on sait, ont pour la plupart la tête couverte d’une laine crépue, le nez épaté, les lèvres épaisses, on trouve des nations entières avec de longs et vrais cheveux, avec des traits réguliers ; et si l’on comparait dans la race des blancs le Danois au Calmouck, ou seulement le Finlandais au Lapon dont il est si voisin, on trouverait entre eux autant de différence pour les traits et la taille qu’il y en a dans la race des noirs ; par conséquent il faut admettre pour ces altérations, qui sont plus profondes que les premières, quelques autres causes réunies avec celle du climat : la plus générale et la plus directe est la qualité de la nourriture ; c’est principalement par les aliments que l’homme reçoit l’influence de la terre qu’il habite, celle de l’air et du ciel agit plus superficiellement ; et tandis qu’elle altère la surface la plus extérieure en changeant la couleur de la peau, la nourriture agit sur la forme intérieure par ses propriétés qui sont constamment relatives à celles de la terre qui la produit. On voit dans le même pays