Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

créé, et de l’autre que ce blanc, ce Lapon et ce nègre, si dissemblants entre eux, peuvent cependant s’unir ensemble et propager en commun la grande et unique famille de notre genre humain : ainsi leurs taches ne sont point originelles ; leurs dissemblances n’étant qu’extérieures, ces altérations de nature ne sont que superficielles ; et il est certain que tous ne font que le même homme, qui s’est verni de noir sous la zone torride et qui s’est tanné, rapetissé par le froid glacial de la sphère du pôle. Cela seul suffirait pour nous démontrer qu’il y a plus de force, plus d’étendue, plus de flexibilité dans la nature de l’homme que dans celle de tous les autres êtres : car les végétaux et presque tous les animaux sont confinés chacun à leur terrain, à leur climat ; et cette étendue dans notre nature vient moins des propriétés du corps que de celles de l’âme ; c’est par elle que l’homme a cherché les secours qui étaient nécessaires à la délicatesse de son corps ; c’est par elle qu’il a trouvé les moyens de braver l’inclémence de l’air et de vaincre la dureté de la terre. Il s’est, pour ainsi dire, soumis les éléments ; par un seul rayon de son intelligence il a produit celui du feu, qui n’existait pas sur la surface de la terre ; il a su se vêtir, s’abriter, se loger, il a compensé par l’esprit toutes les facultés qui manquent à la matière ; et sans être ni si fort, ni si grand, ni si robuste que la plupart des animaux, il a su les vaincre, les dompter, les subjuguer, les confiner, les chasser et s’emparer des espaces que la nature semblait leur avoir exclusivement départis.

La grande division de la terre est celle des deux continents ; elle est plus ancienne que tous nos monuments ; cependant l’homme est encore plus ancien : car il s’est trouvé le même dans ces deux mondes ; l’Asiatique, l’Européen, le nègre, produisent également avec l’Américain ; rien ne prouve mieux qu’ils sont issus d’une seule et même souche que la facilité qu’ils ont de se réunir à la tige commune : le sang est différent, mais le germe est le même ; la peau, les cheveux, les traits, la taille, ont varié sans que la forme intérieure ait changé ; le type en est général et commun : et s’il arrivait jamais, par des révolutions qu’on ne doit pas prévoir, mais seulement entrevoir dans l’ordre général des possibilités, que le temps peut tout amener ; s’il arrivait, dis-je, que l’homme fût contraint d’abandonner les climats qu’il a autrefois envahis pour se réduire à son pays natal, il reprendrait avec le temps ses traits originaux, sa taille primitive et sa couleur naturelle[NdÉ 1] : le rappel de l’homme à son climat amènerait cet effet ; le mélange des races l’amènerait aussi et bien plus promptement[NdÉ 2] ; le blanc avec la noire, ou le noir avec la blanche produisent également un mulâtre dont la couleur est

  1. Il faudrait pour cela non seulement qu’il retrouvât son pays natal, mais qu’il le retrouvât avec le même climat, la même alimentation, etc. Buffon a soin lui-même d’insister sur ce fait que le climat n’est pas le seul agent de transformation des organismes. [Note de Wikisource : Cette condition même ne serait pas suffisante. Les modalités d’adaptation d’une espèce ne sont pas le résultat déterministe de l’environnement, mais comporte essentiellement un large part de hasard.]
  2. À la condition que ce mélange s’effectue dans un même climat et au milieu de circonstances toutes identiques. [Note de Wikisource : Voyez la note précédente.]