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et la cane sauvage font des nids, la poule et la cane domestiques n’en font point. Les nids des oiseaux, les cellules des mouches, les provisions des abeilles, des fourmis, des mulots, ne supposent donc aucune intelligence dans l’animal, et n’émanent pas de quelques lois particulièrement établies pour chaque espèce, mais dépendent, comme toutes les autres opérations des animaux, du nombre, de la figure, du mouvement, de l’organisation et du sentiment, qui sont les lois de la nature, générales et communes à tous les êtres animés.

Il n’est pas étonnant que l’homme, qui se connaît si peu lui-même, qui confond si souvent ses sensations et ses idées, qui distingue si peu le produit de son âme de celui de son cerveau, se compare aux animaux, et n’admette entre eux et lui qu’une nuance dépendante d’un peu plus ou d’un peu moins de perfection dans les organes ; il n’est pas étonnant qu’il les fasse raisonner, s’entendre et se déterminer comme lui, et qu’il leur attribue non seulement les qualités qu’il a, mais encore celles qui lui manquent. Mais que l’homme s’examine, s’analyse et s’approfondisse, il reconnaîtra bientôt la noblesse de son être, il sentira l’existence de son âme, il cessera de s’avilir, et verra d’un coup d’œil la distance infinie que l’Être suprême a mise entre les bêtes et lui.

Dieu seul connaît le passé, le présent et l’avenir ; il est de tous les temps, et voit dans tous les temps : l’homme, dont la durée est de si peu d’instants, ne voit que ces instants ; mais une puissance vive, immortelle, compare ces instants, les distingue, les ordonne ; c’est par elle qu’il connaît le présent, qu’il juge du passé et qu’il prévoit l’avenir. Otez à l’homme cette lumière divine, vous effacez, vous obscurcissez son être, il ne restera que l’animal ; il ignorera le passé, ne soupçonnera pas l’avenir, et ne saura même ce que c’est que le présent[NdÉ 1].


  1. En d’autres termes, ôtez à l’homme les qualités perfectionnées qui font sa supériorité et rien ne le distinguera plus des autres animaux. Ainsi formulée, ainsi dégagée des termes mal définis par lesquels Buffon l’obscurcit, cette proposition est d’une indéniable justesse.