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l’on remarque même dans ses productions les plus brutes ; les cristaux et plusieurs autres pierres, quelques sels, etc., prennent constamment cette figure dans leur formation. Qu’on observe les petites écailles de la peau d’une roussette, on verra qu’elles sont hexagones, parce que chaque écaille croissant en même temps se fait obstacle et tend à occuper le plus d’espace qu’il est possible dans un espace donné : on voit ces mêmes hexagones dans le second estomac des animaux ruminants, on les trouve dans les graines, dans leurs capsules, dans certaines fleurs, etc. Qu’on remplisse un vaisseau de pois, ou plutôt de quelque autre graine cylindrique, et qu’on le ferme exactement, après y avoir versé autant d’eau que les intervalles qui restent entre ces graines peuvent en recevoir ; qu’on fasse bouillir cette eau, tous ces cylindres deviendront des colonnes à six pans. On en voit clairement la raison, qui est purement mécanique : chaque graine, dont la figure est cylindrique, tend par son renflement à occuper le plus d’espace possible dans un espace donné, elles deviennent donc toutes nécessairement hexagones par la compression réciproque. Chaque abeille cherche à occuper de même le plus d’espace possible dans un espace donné ; il est donc nécessaire aussi, puisque le corps des abeilles est cylindrique, que leurs cellules soient hexagones, par la même raison des obstacles réciproques[NdÉ 1].

On donne plus d’esprit aux mouches dont les ouvrages sont les plus réguliers ; les abeilles sont, dit-on, plus ingénieuses que les guêpes, les frelons, etc., qui savent aussi l’architecture, mais dont les constructions sont plus grossières et plus irrégulières que celles des abeilles. On ne veut pas voir, ou l’on ne se doute pas que cette régularité plus ou moins grande dépend uniquement du nombre et de la figure, et nullement de l’intelligence de ces petites bêtes : plus elles sont nombreuses, plus il y a de forces qui agissent également et qui s’opposent de même, plus il y a par conséquent de contrainte mécanique, de régularité forcée et de perfection apparente dans leurs productions.

Les animaux qui ressemblent le plus à l’homme par leur figure et par leur organisation seront donc, malgré les apologistes des insectes, maintenus dans la possession où ils étaient, d’êtres supérieurs à tous les autres pour les qualités intérieures ; et quoiqu’elles soient infiniment différentes de celles de l’homme, qu’elles ne soient, comme nous l’avons prouvé, que des résultats de l’exercice et de l’expérience du sentiment, ces animaux sont par ces facultés mêmes fort supérieurs aux insectes ; et comme tout se fait et que tout est par nuance dans la nature, on peut établir une échelle pour juger

  1. Quoi qu’en dise Buffon, ce n’est pas sous l’action pure d’une sorte de hasard que les cellules des abeilles ont revêtu la forme hexagonale, c’est-à-dire celle qui leur permet d’occuper le moins d’espace possible et d’être aussi économiques que possible ; toutes les espèces ne construisent pas de la même façon, et l’on a pu s’assurer qu’il existait entre elles des différences résultant d’une véritable éducation par l’expérience.