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à-dire au sentiment qu’ils ont de leur force, de leur agilité, etc. : les grands dédaignent les petits et semblent mépriser leur audace insultante. On augmente même par l’éducation ce sang-froid, cet à-propos de courage, on augmente aussi leur ardeur, on leur donne de l’éducation par l’exemple, car ils sont susceptibles et capables de tout, excepté de raison ; en général, les animaux peuvent apprendre à faire mille fois tout ce qu’ils ont fait une fois, à faire de suite ce qu’ils ne faisaient que par intervalles, à faire pendant longtemps ce qu’ils ne faisaient que pendant un instant, à faire volontiers ce qu’ils ne faisaient d’abord que par force, à faire par habitude ce qu’ils ont fait une fois par hasard, à faire d’eux-mêmes ce qu’ils voient faire aux autres[NdÉ 1]. L’imitation est de tous les résultats de la machine animale le plus admirable, c’en est le mobile le plus délicat et le plus étendu, c’est ce qui copie de plus près la pensée ; et quoique la cause en soit dans les animaux purement matérielle et mécanique, c’est par ses effets qu’ils nous étonnent davantage. Les hommes n’ont jamais plus admiré les singes que quand ils les ont vus imiter les actions humaines : en effet, il n’est point trop aisé de distinguer certaines copies de certains originaux ; il y a si peu de gens d’ailleurs qui voient nettement combien il y a de distance entre faire et contrefaire, que les singes doivent être pour le gros du genre humain des êtres étonnants, humiliants, au point qu’on ne peut guère trouver mauvais qu’on ait donné sans hésiter plus d’esprit au singe, qui contrefait et copie l’homme, qu’à l’homme (si peu rare parmi nous) qui ne fait ni ne copie rien.

Cependant les singes sont tout au plus des gens à talents que nous prenons pour des gens d’esprit : quoiqu’ils aient l’art de nous imiter, ils n’en sont pas moins de la nature des bêtes, qui toutes ont plus ou moins le talent de l’imitation[NdÉ 2]. À la vérité, dans presque tous les animaux ce talent est borné à l’espèce même, et ne s’étend point au delà de l’imitation de leurs semblables, au lieu que le singe, qui n’est pas plus de notre espèce que nous ne sommes de la sienne, ne laisse pas de copier quelques-unes de nos actions ; mais c’est parce qu’il nous ressemble à quelques égards, c’est parce qu’il est extérieurement à peu près conformé comme nous, et cette ressemblance grossière suffit pour qu’il puisse se donner des mouvements, et même des suites de mouvements semblables aux nôtres, pour qu’il puisse, en un mot, nous imiter grossièrement ; en sorte que tous ceux qui ne jugent des choses que par l’extérieur trouvent ici comme ailleurs du dessein, de l’intelligence et de l’esprit, tandis qu’en effet il n’y a que des rapports de figure, de mouvement et d’organisation.

  1. Tout cela est applicable aussi bien à l’homme qu’aux animaux.
  2. Ce « talent de l’imitation » exige une observation attentive et une comparaison des gestes à imiter avec ceux que l’animal fait en vue de les reproduire, c’est-à-dire de la réflexion. Buffon fournit donc ici lui-même les arguments contraires à la thèse qu’il soutient.