Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/332

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occupés d’idées : l’âme ne me paraît avoir aucune part à toutes ces actions, car les somnambules vont, viennent, agissent sans réflexion, sans connaissance de leur situation, ni du péril, ni des inconvénients qui accompagnent leurs démarches ; les seules facultés animales sont en exercice, et même elles n’y sont pas toutes ; un somnambule est, dans cet état, plus stupide qu’un imbécile, parce qu’il n’y a qu’une partie de ses sens et de son sentiment qui soit alors en exercice, au lieu que l’imbécile dispose de tous ses sens, et jouit du sentiment dans toute son étendue. Et à l’égard des gens qui parlent en dormant, je ne crois pas qu’ils disent rien de nouveau ; la réponse à certaines questions triviales et usitées, la répétition de quelques phrases communes, ne prouvent pas l’action de l’âme : tout cela peut s’opérer indépendamment du principe de la connaissance et de la pensée. Pourquoi dans le sommeil ne parlerait-on pas sans penser, puisqu’en s’examinant soi-même lorsqu’on est le mieux éveillé, on s’aperçoit, surtout dans les passions, qu’on dit tant de choses sans réflexion ?

À l’égard de la cause occasionnelle des rêves, qui fait que les sensations antérieures se renouvellent sans être excitées par les objets présents ou par des sensations actuelles, on observera que l’on ne rêve point lorsque le sommeil est profond, tout est alors assoupi, on dort en dehors et en dedans ; mais le sens intérieur s’endort le dernier et se réveille le premier, parce qu’il est plus vif, plus actif, plus aisé à ébranler que les sens extérieurs ; le sommeil est dès lors moins complet et moins profond, c’est là le temps des songes illusoires ; les sensations antérieures, surtout celles sur lesquelles nous n’avons pas réfléchi, se renouvellent ; le sens intérieur, ne pouvant être occupé par des sensations actuelles à cause de l’inaction des sens externes, agit et s’exerce sur ses sensations passées ; les plus fortes sont celles qu’il saisit le plus souvent : plus elles sont fortes, plus les situations sont excessives, et c’est par cette raison que presque tous les rêves sont effroyables ou charmants.

Il n’est pas même nécessaire que les sens extérieurs soient absolument assoupis pour que le sens intérieur matériel puisse agir de son propre mouvement, il suffit qu’ils soient sans exercice. Dans l’habitude où nous sommes de nous livrer régulièrement à un repos anticipé, on ne s’endort pas toujours aisément ; le corps et les membres mollement étendus sont sans mouvement ; les yeux, doublement voilés par la paupière et les ténèbres, ne peuvent s’exercer ; la tranquillité du lieu et le silence de la nuit rendent l’oreille inutile ; les autres sens sont également inactifs, tout est en repos, et rien n’est encore assoupi : dans cet état, lorsqu’on ne s’occupe pas d’idées et que l’âme est aussi dans l’inaction, l’empire appartient au sens intérieur matériel, il est alors la seule puissance qui agisse, c’est là le temps des images chimériques, des ombres voltigeantes ; on veille, et cependant on éprouve les effets du sommeil : si l’on est en pleine santé, c’est une suite