Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il faut donc que les partisans de cette opinion se réduisent à dire que leur infini de succession et de multiplication n’est en effet qu’un nombre indéterminable ou indéfini, un nombre plus grand qu’aucun nombre dont nous puissions avoir une idée, mais qui n’est point infini, et, cela étant entendu, il faut qu’ils nous disent que la première graine, ou une graine quelconque, d’un orme, par exemple, qui ne pèse pas un grain, contient en effet et réellement toutes les parties organiques qui doivent former cet orme, et tous les autres arbres de cette espèce qui paraîtront à jamais sur la surface de la terre ; mais par cette réponse que nous expliquent-ils ? N’est-ce pas couper le nœud au lieu de le délier, éluder la question quand il faut la résoudre ?

Lorsque nous demandons comment on peut concevoir que se fait la reproduction des êtres, et qu’on nous répond que dans le premier être cette reproduction était toute faite, c’est non seulement avouer qu’on ignore comment elle se fait, mais encore renoncer à la volonté de le concevoir. On demande comment un être produit son semblable, on répond c’est qu’il était tout produit ; peut-on recevoir cette solution ? Car qu’il n’y ait qu’une génération de l’un à l’autre, ou qu’il y en ait un million, la chose est égale, la même difficulté reste, et, bien loin de la résoudre, en l’éloignant on y joint une nouvelle obscurité par la supposition qu’on est obligé de faire du nombre indéfini de germes tous contenus dans un seul.

J’avoue qu’il est ici plus aisé de détruire que d’établir, et que la question de la reproduction est peut-être de nature à ne pouvoir jamais être pleinement résolue ; mais, dans ce cas, on doit chercher si elle est telle en effet, et pourquoi nous devons la juger de cette nature : en nous conduisant bien dans cet examen, nous en découvrirons tout ce qu’on peut en savoir, ou tout au moins nous reconnaîtrons nettement pourquoi nous devons l’ignorer.

Il y a des questions de deux espèces, les unes qui tiennent aux causes premières, les autres qui n’ont pour objet que les effets particuliers : par exemple, si l’on demande pourquoi la matière est impénétrable, on ne répondra pas, ou bien on répondra par la question même, en disant, la matière est impénétrable par la raison qu’elle est impénétrable, et il en sera de même de toutes les qualités générales de la matière ; pourquoi est-elle étendue, pesante, persistante dans son état de mouvement ou de repos ? On ne pourra jamais répondre que par la question même ; elle est telle, parce qu’en effet elle est telle, et nous ne serons pas étonnés que l’on ne puisse pas répondre autrement, si nous y faisons attention ; car nous sentirons bien que, pour donner la raison d’une chose, il faut avoir un sujet différent de la chose, duquel sujet on puisse tirer cette raison : or toutes les fois qu’on nous demandera la raison d’une cause générale, c’est-à-dire d’une qualité qui appartient généralement à tout, dès lors nous n’avons point de sujet à qui elle n’appartienne point, par conséquent rien qui puisse nous fournir une raison, et dès lors, il est démontré qu’il est inutile de la chercher, puisqu’on irait par là