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ébranlements qu’il a reçus ; ce sens existe dans l’animal, et le cerveau en est l’organe ; ce sens reçoit toutes les impressions que chacun des sens extérieurs lui transmet : lorsqu’une cause extérieure, un objet, de quelque nature qu’il soit, exerce donc son action sur les sens extérieurs, cette action produit un ébranlement durable dans le sens intérieur, cet ébranlement communique du mouvement à l’animal ; ce mouvement sera déterminé, si l’impression vient des sens de l’appétit, car l’animal avancera pour atteindre, ou se détournera pour éviter l’objet de cette impression, selon qu’il en aura été flatté ou blessé ; ce mouvement peut aussi être incertain, lorsqu’il sera produit par les sens qui ne sont pas relatifs à l’appétit, comme l’œil et l’oreille. L’animal qui voit ou qui entend pour la première fois est, à la vérité, ébranlé par la lumière ou par le son ; mais l’ébranlement ne produira d’abord qu’un mouvement incertain, parce que l’impression de la lumière ou du son n’est nullement relative à l’appétit ; ce n’est que par des actes répétés, et lorsque l’animal aura joint aux impressions du sens de la vue ou de l’ouïe celles de l’odorat, du goût ou du toucher, que le mouvement deviendra déterminé, et qu’en voyant un objet ou en entendant un son il avancera pour atteindre, ou reculera pour éviter la chose qui produit ces impressions, devenues par l’expérience relatives à ses appétits.

Pour nous faire mieux entendre, considérons un animal instruit, un chien, par exemple, qui, quoique pressé d’un violent appétit, semble n’oser toucher et ne touche point en effet à ce qui pourrait le satisfaire, mais en même temps fait beaucoup de mouvements pour l’obtenir de la main de son maître ; cet animal ne paraît-il pas combiner des idées ? ne paraît-il pas désirer et craindre, en un mot raisonner à peu près comme un homme qui voudrait s’emparer du bien d’autrui, et qui, quoique violemment tenté, est retenu par la crainte du châtiment ? voilà l’interprétation vulgaire de la conduite de l’animal. Comme c’est de cette façon que la chose se passe chez nous, il est naturel d’imaginer, et on imagine, en effet, qu’elle se passe de même dans l’animal : l’analogie, dit-on, est bien fondée, puisque l’organisation et la conformation des sens, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, sont semblables dans l’animal et dans l’homme. Cependant ne devrions-nous pas voir que, pour que cette analogie fût en effet bien fondée, il faudrait quelque chose de plus, qu’il faudrait du moins que rien ne pût la démentir, qu’il serait nécessaire que les animaux pussent faire, et fissent, dans quelques occasions, tout ce que nous faisons ? Or le contraire est évidemment démontré ; ils n’inventent, ils ne perfectionnent rien, ils ne réfléchissent par conséquent sur rien, ils ne font jamais que les mêmes choses, de la même façon[NdÉ 1] : nous pouvons

  1. C’est une erreur. Des observations extrêmement nombreuses démontrent d’une manière irréfutable que l’animal réfléchit et qu’il perfectionne, sous l’influence de l’expérience et de la réflexion, tous ses moyens d’action. Non seulement les animaux peuvent être éduqués par l’homme, mais encore ils s’instruisent entre eux. Chez les oiseaux, les parents exercent