Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/314

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

supérieur, une substance spirituelle, entièrement différente, par son essence et par son action, de la nature des sens extérieurs.

Ce n’est pas qu’on puisse nier pour cela qu’il y ait dans l’homme un sens intérieur matériel, relatif, comme dans l’animal, aux sens extérieurs : l’inspection seule le démontre. La conformité des organes dans l’un et dans l’autre, le cerveau qui est dans l’homme comme dans l’animal, et qui même est d’une plus grande étendue, relativement au volume du corps, suffisent pour assurer dans l’homme l’existence de ce sens intérieur matériel. Mais ce que je prétends, c’est que ce sens est infiniment subordonné à l’autre ; la substance spirituelle le commande, elle en détruit ou en fait naître l’action : ce sens, en un mot, qui fait tout dans l’animal, ne fait dans l’homme que ce que le sens supérieur n’empêche pas ; il fait aussi ce que le sens supérieur ordonne. Dans l’animal ce sens est le principe de la détermination du mouvement et de toutes les actions ; dans l’homme ce n’en est que le moyen ou la cause secondaire[NdÉ 1].

Développons, autant qu’il nous sera possible, ce point important ; voyons ce que ce sens intérieur matériel peut produire : lorsque nous aurons fixé l’étendue de la sphère de son activité, tout ce qui n’y sera pas compris dépendra nécessairement du sens spirituel ; l’âme fera tout ce que ce sens matériel ne peut faire. Si nous établissons des limites certaines entre ces deux puissances, nous reconnaîtrons clairement ce qui appartient à chacune ; nous distinguerons aisément ce que les animaux ont de commun avec nous, et ce que nous avons au-dessus d’eux.

Le sens intérieur matériel reçoit également toutes les impressions que chacun des sens extérieurs lui transmet ; ces impressions viennent de l’action des objets ; elles ne font que passer par les sens extérieurs, et ne produisent dans ces sens qu’un ébranlement très peu durable, et, pour ainsi dire, instantané ; mais elles s’arrêtent sur le sens intérieur, et produisent dans le cerveau, qui en est l’organe, des ébranlements durables et distincts. Ces ébranlements sont agréables ou désagréables, c’est-à-dire sont relatifs ou contraires à la nature de l’animal, et font naître l’appétit ou la répugnance, selon l’état et la disposition présente de l’animal. Prenons un animal au moment de sa naissance : dès que par les soins de la mère il se trouve débarrassé de ses enveloppes, qu’il a commencé à respirer et que le besoin de prendre de la nourriture se fait sentir, l’odorat, qui est le sens de l’appétit, reçoit les émanations de l’odeur du lait qui est contenu dans les mamelles de la mère ; ce sens, ébranlé par les particules odorantes, communique cet ébranlement au cerveau, et le cerveau agissant à son tour sur les

  1. Les explications dans lesquelles va entrer Buffon, bien loin de démontrer l’exactitude de cette proposition, fournissent des arguments contre elle. Buffon l’a-t-il fait en connaissance de cause ? A-t-il voulu par là faire taire les grondements de la Sorbonne ? Nous ne pouvons que poser la question.