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sont plus durables, comme dans le sens intérieur, mais il a encore des propriétés éminentes au-dessus des autres sens, et ces propriétés sont semblables à celles du sens intérieur.

L’œil rend au dehors les impressions intérieures, il exprime le désir que l’objet agréable qui vient de le frapper a fait naître ; c’est, comme le sens intérieur, un sens actif ; tous les autres sens au contraire sont presque purement passifs, ce sont de simples organes faits pour recevoir les impressions extérieures, mais incapables de les conserver, et plus encore de les réfléchir au dehors. L’œil les réfléchit, parce qu’il les conserve ; et il les conserve, parce que les ébranlements dont il est affecté sont durables, au lieu que ceux des autres sens naissent et finissent presque dans le même instant[NdÉ 1].

Cependant, lorsqu’on ébranle très fortement et très longtemps quelque sens que ce soit, l’ébranlement subsiste et continue longtemps après l’action de l’objet extérieur. Lorsque l’œil est frappé par une lumière trop vive, ou lorsqu’il se fixe trop longtemps sur un objet, si la couleur de cet objet est éclatante, il reçoit une impression si profonde et si durable qu’il porte ensuite l’image de cet objet sur tous les autres objets. Si l’on regarde le soleil un instant, on verra pendant plusieurs minutes, et quelquefois pendant plusieurs heures et même plusieurs jours, l’image du disque du soleil sur tous les autres objets. Lorsque l’oreille a été ébranlée pendant quelques heures de suite par le même air de musique, par des sons forts auxquels on aura fait attention, comme par des hautbois ou par des cloches, l’ébranlement subsiste, on continue d’entendre les cloches et les hautbois ; l’impression dure quelquefois plusieurs jours, et ne s’efface que peu à peu. De même, lorsque l’odorat et le goût ont été affectés par une odeur très forte et par une saveur très désagréable, on sent encore longtemps après cette mauvaise odeur ou ce mauvais goût ; et enfin lorsqu’on exerce trop le sens du toucher sur le même objet, lorsqu’on applique fortement un corps étranger sur quelque partie de notre corps, l’impression subsiste aussi pendant quelque temps, et il nous semble encore toucher et être touché.

Tous les sens ont donc la faculté de conserver plus ou moins les impressions des causes extérieures[NdÉ 2], mais l’œil l’a plus que les autres sens ; et le cerveau, où réside le sens intérieur de l’animal, a éminemment cette propriété : non seulement il conserve les impressions qu’il a reçues, mais il en propage l’action en communiquant aux nerfs les ébranlements. Les organes des sens extérieurs, le cerveau qui est l’organe du sens intérieur, la moelle épinière, et les nerfs qui se répandent dans toutes les parties du corps animal, doivent être regardés comme faisant un corps continu, comme une machine organique dans laquelle les sens sont les parties sur lesquelles

  1. La persistance des sensations est facile à constater non seulement en ce qui concerne la vue, mais pour tous les autres sens. Buffon le dit lui-même un peu plus bas.
  2. Cette propriété est très exacte.