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Cette première division de l’économie animale me paraît naturelle, générale et bien fondée ; l’animal qui dort ou qui est en repos est une machine moins compliquée et plus aisée à considérer que l’animal qui veille ou qui est en mouvement[NdÉ 1]. Cette différence est essentielle, et n’est pas un simple changement d’état, comme dans un corps inanimé qui peut également et indifféremment être en repos ou en mouvement ; car un corps inanimé, qui est dans l’un ou l’autre de ces états, restera perpétuellement dans cet état, à moins que des forces ou des résistances étrangères ne le contraignent à en changer ; mais c’est par ses propres forces que l’animal change d’état ; il passe du repos à l’action, et de l’action au repos, naturellement et sans contrainte : le moment de l’éveil revient aussi nécessairement que celui du sommeil, et tous deux arriveraient indépendamment des causes étrangères, puisque l’animal ne peut exister que pendant un certain temps dans l’un ou dans l’autre état, et que la continuité non interrompue de la veille ou du sommeil, de l’action ou du repos, amènerait également la cessation de la continuité du mouvement vital.

Nous pouvons donc distinguer dans l’économie animale deux parties dont la première agit perpétuellement sans aucune interruption, et la seconde n’agit que par intervalles. L’action du cœur et des poumons dans l’animal qui respire, l’action du cœur dans le fœtus, paraissent être cette première partie de l’économie animale : l’action des sens et le mouvement du corps et des membres semblent constituer la seconde[NdÉ 2].

Si nous imaginions donc des êtres auxquels la nature n’eût accordé que cette première partie de l’économie animale, ces êtres, qui seraient nécessairement privés de sens et de mouvement progressif, ne laisseraient pas d’être des êtres animés, qui ne différeraient en rien des animaux qui dorment. Une huître, un zoophyte, qui ne paraît avoir ni mouvement extérieur sensible, ni sens externe, est un être formé pour dormir toujours[NdÉ 3] ; un végétal n’est dans ce sens qu’un animal qui dort[NdÉ 4], et en général les fonctions de tout être organisé qui n’aurait ni mouvement, ni sens, pour-

  1. L’animal qui dort est un être à peu près exclusivement réduit à la vie végétative, sans autres rapports avec le milieu ambiant que ceux nécessaires à l’accomplissement des fonctions de nutrition, de respiration, etc., tandis que l’animal éveillé est en rapport direct et étroit avec ce même milieu par un ou plusieurs sens.
  2. Pensée très juste. La première des « deux parties » que Buffon distingue dans « l’économie animale » est celle qui se rapporte aux fonctions végétatives ; la seconde est celle qui se rapporte à la vie de relation, c’est-à-dire aux rapports que l’animal entretient avec le milieu ambiant et avec les autres organismes.
  3. L’huître, quoi qu’en dise Buffon, possède des « mouvements extérieurs sensibles », et des sens, c’est-à-dire des appareils de relation. À l’époque de Buffon les animaux inférieurs n’étaient que fort peu connus, et Buffon lui-même paraît ne les avoir presque pas étudiés.
  4. Les végétaux possèdent des mouvements. Leur protoplasma jouit de toutes les propriétés essentielles que l’on observe chez les animaux. (Voyez mon Introduction.)