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nous pouvons dire que jusqu’aux plus sublimes découvertes de la physique, tout nous ramène à notre néant. »

Je ne puis qu’approuver ces raisonnements de M. Moublet, pleins de discernement et de sagacité ; il a très bien saisi les principaux points de mon système sur la reproduction, et je regarde son observation comme une des plus curieuses qui aient été faites sur la génération spontanée[1]. Plus on

  1. On peut voir plusieurs exemples de la génération spontanée de quelques insectes dans différentes parties du corps humain en consultant les ouvrages de M. Andry et de quelques autres observateurs qui se sont efforcés, sans succès, de les rapporter à des espèces connues, et qui tâchaient d’expliquer leur génération en supposant que les œufs de ces insectes avaient été respirés ou avalés par les personnes dans lesquelles ils se sont trouvés ; mais cette opinion, fondée sur le préjugé que tout être vivant ne peut venir que d’un œuf, se trouve démentie par les faits mêmes que rapportent ces observateurs. Il est impossible que des œufs d’insectes, respirés ou avalés, arrivent dans le foie, dans les veines, dans les sinus, etc. ; et d’ailleurs plusieurs de ces insectes, trouvés dans l’intérieur du corps de l’homme et des animaux, n’ont que peu ou point de rapport avec les autres insectes, et doivent, sans contredit, leur origine et leur naissance à une génération spontanée. Nous citerons ici deux exemples récents, le premier de M. le président H…, qui a rendu par les urines un petit crustacé assez semblable à une crevette ou chevrette de mer, mais qui n’avait que trois lignes ou trois lignes et demie de longueur. Monsieur son fils a eu la bonté de me faire voir cet insecte, qui n’était pas le seul de cette espèce que monsieur son père avait rendu par les urines, et précédemment il avait rendu par le nez, dans un violent éternûment, une espèce de chenille qu’on n’a pas conservée, et que je n’ai pu voir.

    Un autre exemple est celui d’une demoiselle du Mans, dont M. Vetillard, médecin de cette ville, m’a envoyé le détail par sa lettre du 6 juillet 1771, dont voici l’extrait. « Mlle Cabaret, demeurante au Mans, paroisse Notre-Dame de la Couture, âgée de trente et quelques années, était malade depuis environ trois ans, et au troisième degré, d’une phthisie pulmonaire, pour laquelle je lui avais fait prendre le lait d’ânesse le printemps et l’automne 1759. Je l’ai gouvernée en conséquence depuis ce temps.

    » Le 8 juin dernier, sur les onze heures du soir, la malade, après de violents efforts occasionnés (disait-elle) par un chatouillement vif et extraordinaire au creux de l’estomac, rejeta une partie de rôtie au vin et au sucre qu’elle avait prise dans l’après-dîner. Quatre personnes présentes alors avec plusieurs lumières pour secourir la malade, qui croyait être à sa dernière heure, aperçurent quelque chose remuer autour d’une parcelle de pain, sortant de la bouche de la malade : c’était un insecte qui, par le moyen d’un grand nombre de pattes, cherchait à se détacher du petit morceau de pain qu’il entourait en forme de cercle. Dans l’instant les efforts cessèrent, et la malade se trouva soulagée ; elle réunit son attention à la curiosité et à l’étonnement des quatre spectatrices qui reconnaissaient à cet insecte la figure d’une chenille ; elles la ramassèrent dans un cornet de papier qu’elles laissèrent dans la chambre de la malade. Le lendemain à cinq heures du matin, elles me firent avertir de ce phénomène, que j’allais aussitôt examiner. L’on me présenta une chenille, qui d’abord me parut morte, mais l’ayant réchauffée avec mon haleine, elle reprit vigueur et se mit à courir sur le papier.

    » Après beaucoup de questions et d’objections faites à la malade et aux témoins, je me déterminai à tenter quelques expériences et à ne point mépriser, dans une affaire de physique, le témoignage de cinq personnes, qui toutes m’assuraient un même fait et avec les mêmes circonstances.

    » L’histoire d’un ver-chenille, rendu par un grand vicaire d’Alais, que je me rappelai avoir lue dans l’ouvrage de M. Andry, contribua à me faire regarder la chose comme possible…

    » J’emportai la chenille chez moi dans une boîte de bois, que je garnis d’étoffe et que je perçai en différents endroits : je mis dans la boîte des feuilles de différentes plantes légumineuses, que je choisis bien entières, afin de m’apercevoir auxquelles elle se serait atta-