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vitale de notre corps, trouble son mécanisme et ses sensations, et change son existence, ses proportions et ses rapports.

» Les mutations diverses qu’elle éprouve souvent se manifestent sensiblement pendant la vie : tant de sortes de vers qui s’engendrent dans nos viscères, et la maladie pédiculaire, ne sont-ils pas des preuves démonstratives de ces transformations et de ces aliénations fréquentes ? Dans les épidémies, ne regardons-nous pas les vers qui sortent avec les matières excrémentielles comme un symptôme essentiel qui désigne le degré éminent de dépravation où sont portées les particules intégrantes substantielles et spiritueuses des humeurs ? Et qu’est-ce que ces particules, si ce n’est les molécules organiques, qui différemment modifiées, affinées et foulées par la force systaltique des vaisseaux, nagent dans un véhicule qui les entraîne dans le torrent de la circulation ?

» Ces dépravations malignes que contractent nos humeurs, ou les particules intégrantes et essentielles qui les constituent, s’attachent et inhèrent tellement en elles, qu’elles persévèrent et se perpétuent au delà du trépas. Il semble que la vie ne soit qu’un mode du corps ; sa dissolution ne paraît être qu’un changement d’état ou une suite et une continuité des mêmes révolutions et des dérangements qu’il a soufferts et qui ont commencé de s’opérer pendant la maladie, qui s’achèvent et se consomment après la mort. Ces modifications spontanées des molécules organiques et ces productions vermineuses ne paraissent le plus souvent qu’alors ; rarement, et ce n’est que dans les maladies violentes et les plus envenimées où leur dégénérescence est accélérée, qu’elles se développent plus tôt en nous. Nos plus vives misères sont donc cachées dans les horreurs du tombeau, et nos plus grands maux ne se réalisent, ne s’effectuent et ne parviennent à leur comble que lorsque nous ne les sentons plus !

» J’ai vu depuis peu un cadavre qui se couvrit, bientôt après la mort, de petits vers blancs, ainsi qu’il est remarqué dans l’observation citée ci-dessus. J’ai eu lieu d’observer en plusieurs circonstances que la couleur, la figure, la forme de ces animalcules varient suivant l’intensité et le genre des maladies.

» C’est ainsi que les substances organisées se transforment et ont différentes manières d’être, et que cette multitude infinie d’insectes concentrés dans l’intérieur de la terre et dans les endroits les plus infects et les plus ténébreux sont évoqués, naissent et continuent à se repaître des débris et des dépouilles de l’humanité. L’univers vit de lui-même, et tous les êtres en périssant ne font que rendre à la nature les parties organiques et nutritives qu’elle leur a prêtées pour exister ; tandis que notre âme, du centre de la corruption, s’élance au sein de la Divinité, notre corps porte encore après la mort l’empreinte et les marques de ses vices et de ses dépravations ; et pour finir enfin par concilier la saine philosophie avec la religion,