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et s’articulent, forment de petites masses et de petits embryons qui se développent et produisent, selon leur assemblage et les matrices où elles sont recélées, des corps mouvants, des êtres animés et vivants. La nature, d’une manière également facile, régulière et spontanée, opère par le même mécanisme la décomposition d’un corps et la génération d’un autre.

» Si cette substance organique n’était effectivement douée de cette faculté générative qui se manifeste d’une façon si authentique dans tout l’univers, comment pourraient éclore ces animalcules qu’on découvre dans nos viscères les plus cachés, dans les vaisseaux les plus petits ? Comment dans des corps insensibles, sur des cendres inanimées, au centre de la pourriture et de la mort, dans le sein des cadavres qui reposent dans une nuit et un silence imperturbables, naîtrait en si peu de temps une si grande multitude d’insectes si dissemblables à eux-mêmes, qui n’ont rien de commun que leur origine, et que Leeuwenhoek et M. de Réaumur ont toujours trouvés d’une figure plus étrange et d’une forme plus différente et plus extraordinaire ?

» Il y a des quadrupèdes qui sont remplis de lentes. Le père Kircher (Scrut. pest., sect. I, cap. vii ; experim. 3, et Mund. subterran., lib. xii), a aperçu à l’aide d’un microscope, dans des feuilles de sauge, une espèce de réseau, tissu comme une toile d’araignée, dont toutes les mailles montraient un nombre infini de petits animalcules. Swammerdam a vu le cadavre d’un animal qui fourmillait d’un million de vers ; leur quantité était si prodigieuse qu’il n’était pas possible d’en découvrir les chairs, qui ne pouvaient suffire pour les nourrir ; il semblait à cet auteur qu’elles se transformaient toutes en vers.

» Mais si ces molécules organiques sont communes à tous les êtres, si leur essence et leur action sont indestructibles, ces petits animaux devraient toujours être d’un même genre et d’une même forme ; ou si elle dépend de leur combinaison, d’où vient qu’ils ne varient pas à l’infini dans le même corps ? Pourquoi enfin ceux de notre cadavre ressemblaient-ils aux moucherons qui sortent du marc du vin ?

» S’il est vrai que l’action perpétuelle et unanime des organes vitaux détache et dissipe à chaque instant les parties les plus subtiles et les plus épurées de notre substance ; s’il est nécessaire que nous réparions journellement les déperditions immenses qu’elle souffre par les émanations extérieures et par toutes les voies excrétoires ; s’il faut enfin que les parties nutritives des aliments, après avoir reçu les coctions et toutes les élaborations que l’énergie de nos viscères leur fait subir, se modifient, s’assimilent, s’affermissent et inhèrent aux extrémités des tuyaux capillaires, jusqu’à ce qu’elles en soient chassées et remplacées à leur tour par d’autres qui sont encore amovibles, nous sommes induits à croire que la partie substantielle et vivante de notre corps doit acquérir le caractère des aliments que nous