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par des causes différentes. Notre corps n’a d’adhérence à la vie qu’autant que ces molécules organiques conservent dans leur intégrité leurs qualités virtuelles et leurs facultés génératives, qu’elles se tiennent articulées ensemble dans une proportion exacte, et que leurs actions rassemblées concourent également au mécanisme général ; car chaque partie de nous-mêmes est un tout parfait qui a un centre où son organisation se rapporte, et d’où son mouvement progressif et simultané se développe, se multiplie et se propage dans tous les points de la substance.

» Nous pouvons donc dire que ces molécules organiques, telles que nous les représentons, sont les germes communs, les semences universelles de tous les règnes, et qu’elles circulent et sont disséminées en tout lieu : nous les trouvons dans les aliments que nous prenons, nous les humons à chaque instant avec l’air que nous respirons ; elles s’ingèrent et s’incorporent en nous, elles réparent par leur établissement local, lorsqu’elles sont dans une quantité suffisante, les déperditions de notre corps ; et en conjuguant leur action et leur vie particulière, elles se convertissent en notre propre nature et nous prêtent une nouvelle vie et des forces nouvelles.

» Mais si leur intussusception et leur abondance sont telles que leur quantité excède de beaucoup celle qui est nécessaire à l’entretien et à l’accroissement du corps, les particules organiques qui ne peuvent être absorbées pour ses besoins refluent aux extrémités des vaisseaux, rencontrent des canaux oblitérés, se ramassent dans quelque réservoir intérieur, et, selon le moule qui les reçoit, elles s’assimilent, dirigées par les lois d’une affinité naturelle et réciproque, et mettent au jour des espèces nouvelles, des êtres animés et vivants, et qui n’ont peut-être point eu de modèles et qui n’existeront jamais plus.

» Et quand en effet sont-elles plus abondantes, plus ramassées que lorsque la nature accomplit la destruction spontanée et parfaite d’un corps organisé ? Dès l’instant que la vie est éteinte, toutes les molécules organiques qui composent la substance vitale de notre corps lui deviennent excédantes et superflues ; la mort anéantie leur harmonie et leur rapport, détruit leur combinaison, rompt les liens qui les enchaînent et qui les unissent ensemble ; elle en fait l’entière dissection de la vraie analyse. La matière vivante se sépare peu à peu de la matière morte ; il se fait une division réelle des particules organiques et des particules brutes : celles-ci, qui ne sont qu’accessoires, et qui ne servent que de base et d’appui aux premières, tombent en lambeaux et se perdent dans la poussière, tandis que les autres se dégagent d’elles-mêmes, affranchies de tout ce qui les captivait dans leur arrangement et leur situation particulière : livrées à leur mouvement intestin, elles jouissent d’une liberté illimitée et d’une anarchie entière, et cependant disciplinée, parce que la puissance et les lois de la nature survivent à ses propres ouvrages. Elles s’amoncellent encore, s’anastomosent