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» Leurs yeux étaient lustrés comme ceux de la Musca crysophis de Goedart. Ils n’étaient armés ni d’antennes, ni de trompes, ni d’aiguillons ; ils portaient seulement des barbillons à la tête, et leurs pieds étaient garnis de petits maillets ou de papilles extrêmement légères qui s’étendaient jusqu’à leurs extrémités.

» Je ne les ai considérés que dans l’état que je décris : quelque soin que j’aie apporté dans mes recherches, je n’ai pu reconnaître aucun indice qui me fit présumer qu’ils aient passé par celui de larve et de nymphe ; peut-être plusieurs raisons de convenance et de probabilité donnent lieu de conjecturer qu’ils ont été des vers microscopiques d’une espèce particulière, avant de devenir ce qu’ils m’ont paru. En les anatomisant, je n’ai découvert aucune sorte d’enveloppe dont ils pussent se dégager, ni aperçu sur le tombeau aucune dépouille qui ait pu leur appartenir. Pour éclaircir et approfondir leur origine, il aurait été nécessaire, et il n’a pas été possible, de faire infuser de la chair du cadavre dans l’eau, ou d’observer sur lui-même, dans leur principe, les petits corps mouvants qui en sont issus.

» D’après les traits dont je viens de les dépeindre, je crois qu’on peut les rapporter au premier ordre de Swammerdam. Ceux que j’ai écrasés n’ont point exhalé de mauvaise odeur sensible ; leur couleur n’établit point une différence : la qualité de l’endroit où ils étaient resserrés, les impressions diverses qu’ils ont reçues, et d’autres conditions étrangères, peuvent être les causes occasionnelles de la configuration variable de leurs pores extérieurs et des couleurs dont ils étaient revêtus. On sait que les vers de terre, après avoir été submergés et avoir resté quelque temps dans l’eau, deviennent d’un blanc de lis qui s’efface et se ternit quand on les a retirés, et qu’ils reprennent peu à peu leur première couleur. Le nombre de ces insectes ailés a été inconcevable : cela me persuade que leur propagation a coûté peu à la nature, et que leurs transformations, s’il en ont essuyé, ont dû être rapides et bien subites.

» Il est à remarquer qu’aucune mouche ni aucune autre espèce d’insectes ne s’en sont jamais approchés. Ces animalcules éphémères, retirés de dessus la tombe dont ils ne s’éloignaient point, périssaient une heure après, sans doute pour avoir seulement changé d’élément et de pâture, et je n’ai pu parvenir par aucun moyen à les conserver en vie.

» J’ai cru devoir tirer de la nuit du tombeau et de l’oubli des temps, qui l’eût annihilée, cette observation particulière et si surprenante. Les objets qui frappent le moins les yeux du vulgaire, et que la plupart des hommes foulent aux pieds, sont quelquefois ceux qui méritent le plus d’exercer l’esprit des philosophes.

» Car comment ont été produit ces insectes dans un lieu où l’air extérieur n’avait ni communication ni aucune issue ? Pourquoi leur génération s’est-elle opérée si facilement ? Pourquoi leur propagation a-t-elle été si grande ?